L’Ecorcheur du Fontenoy, de Philippe WARET…

L'Ecorcheur du Fontenoy, polar roubaisien de Philippe Waret

Je ne sais pas pourquoi j’aime le Nord. Le fait est que je m’y sens bien. Aussi, quand La Voix du Nord annonce une série de polars historiques consacrés à Roubaix (1), je m’intéresse ! L’Ecorcheur du Fontenoy est le premier tome des Mystères de Roubaix et je l’ai adoré…

La collection vient juste d’être lancée chez Pôle Nord Editions. Chacun des 12 tomes écrits par l’historien Philippe WARET aura pour décor un quartier de Roubaix au 19ème siècle. Bonne nouvelle : les 3 premiers sont déjà parus ! D’abord, l’Ecorcheur du Fontenoy, puis La Petite Main des Longues Haies et enfin Les Amateurs d’Art du Tilleul. Vous avez reconnu les noms de trois anciens quartiers de Roubaix ? Vous êtes trop forts !

L’Ecorcheur du Fontenoy : enquête filée sur un tueur de femmes

A peine le temps de faire connaissance avec Marie-Françoise, ouvrière chez Lafaille et compagne du marionnettiste Arno Garofalo qu’on la retrouve lardée de coups de couteau,  la gorge tranchée, accrochée à une patère au rez-de-chaussée de sa petite maison de courée. (15)

  • Arnaud Dupin entre en scène

Après quelques péripéties dont une nuit en prison – on l’a pris pour un anarchiste, et même pour l’égorgeur ! -, le jeune Arnaud Dupin, venu à Roubaix pour trouver du travail, découvre à ses dépens les ententes secrètes existant entre les grands patrons des filatures : avec de telles références, aucun ne l’emploiera plus !

Heureusement, le directeur du Populaire, le journaliste Henri Bernard, vient à son secours en lui proposant de reprendre l’enquête sur L’Ecorcheur du Fontenoy, ce « tueur de femmes » (46) à qui l’on attribue 5 meurtres récents dans le quartier :

« Je vous propose de suivre l’affaire, ce sera votre premier sujet. Vous êtes nouveau, vous allez tout reprendre depuis le début, et j’ai dans l’idée que vous avez envie de reconquérir votre honneur, votre droit à la parole. Je vous en donne l’occasion, saisissez-la ! » (64)

  • Solidaires contre le tueur en série

Loin d’une entreprise solitaire, l’enquête sur L’Ecorcheur du Fontenoy est l’œuvre des trois journalistes du Populaire. C’est aussi celle de Sarah, une fileuse de chez Lafaille bien décidée à faire « payer d’une manière ou d’une autre » (90-91) le mystérieux « homme du château » (89-90) qui « s’offr[e] des femmes pour quelques sous » (92) et envoie son homme de main « nettoyer » derrière lui (143).

Après Marie-Françoise, c’est Félicienne, une voisine d’atelier, qui répond, comme elle, à ces mystérieux rendez-vous.  Et voilà qu’on la retrouve égorgée devant le confessionnal de l’église Saint-Joseph (102)…

Grâce aux nombreuses connexions d’Henri Bernard, aux archives de Léandre et aux qualités de raisonnement  de notre « apprenti-journaliste » (115), l’enquête sur L’Ecorcheur du Fontenoy se concentre sur les points communs entre les victimes, le modus operandi du violeur d’une part, du tueur de l’autre, mettant bientôt en évidence l’implication du comité de bienfaisance des filatures. Sarah fait également preuve de courage, qui se propose comme appât (167) dans l’espoir de neutraliser définitivement l’Ecorcheur (175) et de prouver l’innocence  de Garofalo.

  • Ecriture cinématographique

Avec de vraies trouvailles de scénario (le cheval (178), le duo diabolique (236),…) et une écriture très cinématographique (la victime pendue au clou (15), le cocher et l’écorcheur encerclés (173), « l’étrange cortège » (179-182, 188), la morgue (197, 201)), le suspense est maintenu jusque dans les dernières pages et les chapitres courts s’enchaînent rapidement.

 

Les polars de Philippe WARET ou l’histoire comme on l’aime !

 

Complètement immergé dans la topographie du quartier, les places et les rues,  toutes appelées par leur nom, pour le plus grand plaisir des Roubaisiens qui s’y reconnaîtront (ex 37-38), L’Ecorcheur du Fontenoy se distingue aussi par de jolis portraits :

  • Celui d’Arno Garofalo, le montreur de marionnettes. Ancien Communard venu habiter à Roubaix (46), il s’engage pour les ouvriers au moment des grèves (57). Il est aussi plein de projets pour l’avenir avec Marie-Françoise, au début de L’Ecorcheur du Fontenoy (13),
  • Et celui de Sarah la fileuse (74), qui vit seule dans une petite maison près du chemin de fer depuis la mort de son mari « suite à un accident de machine à l’usine » (69).

« Avec son mari, ils avaient formé un couple de jeunes travailleurs, qui avaient toute la vie devant eux, jusqu’à l’accident. Aucun enfant n’avait pu naître de cette union, faute de temps. » (70)

Dans L’Ecorcheur du Fontenoy, l’auteur Philippe WARET nous promène :

« aux quatre coins de la ville, du Fontenoy à l’Epeule, du quartier du Moulin jusqu’aux Longues Haies, du Sartel à la Fosse aux Chênes » (59).

Nous visitons d’abord le commissariat (31-32), le tribunal (38-39), le service de l’état-civil (208-209) et l’hôpital (220). De là, nous entrons dans les bureaux d’embauche des usines (51-54), dans les ateliers (109), mais aussi au Cercle de l’Industrie, « où se retrouvaient les hommes qui faisaient Roubaix, négociants et fabricants principalement » (131-133).

Nous passons des maisons de courée des ouvriers (13, 69-70) aux estaminets où l’on boit « une tiote goutte ed genièf ! » (156) et, à l’autre bout de la ville, découvrons les maisons bourgeoises (71-72) et villas des négociants en tissu entourés de leur nombreux personnel (valet, cuisinière, bonne, cocher (203)).

  • A l’échelle d’un quartier

Comme Arnaud éprouvant « la solidarité des petites gens, l’accueil des clients des estaminets » lorsqu’il distribue le journal (77), l’entraide populaire est partout visible dans L’Ecorcheur du Fontenoy, notamment face aux incendies :

« Les voisins étaient sortis de leurs maisons et les premiers secours arrivaient. On fit la chaîne des seaux et on envoya de l’eau sur les châssis et les issues, afin d’ouvrir une porte ou une fenêtre. L’entrée fut ouverte ce qui relança un moment l’ardeur des flammes, mais une dizaine de seaux plus tard, l’issue fut abordable. On continua d’arroser, mais l’air était irrespirable. Les pompiers d’une usine située à proximité étaient à pied d’œuvre. Une pompe arrosait désormais la bâtisse en flammes. » (223-224)

Quand il s’agit de protéger Sarah de L’Ecorcheur du Fontenoy, le patron du journal Henri Bernard organise une surveillance continue entre eux trois, mais aussi « une vingtaine de compagnons armés de cannes [qui] entourent discrètement le quartier et […] n’attendent qu’un signal pour intervenir » (168).

  • Le crime révélateur des tensions sociales

C’est en groupe qu’ils suivent le fiacre sur la piste du violeur – « une majorité de femmes, quelques hommes » (178), dont 3 reconnaissent les lieux et l’accusent formellement (186). Et c’est en groupe qu’ils le livrent au commissariat (189). Incarnation du peuple et de la justice populaire, le « cortège vengeur » (189) est une menace sensible dans L’Ecorcheur du Fontenoy et il faudra les qualités de médiation du directeur du Populaire Henri Bernard pour les disperser :

« Allons, rentrez chez vous, laissez la police faire son travail !
Mais cela ne semblait pas satisfaire les personnes et on sentait que le ton allait monter. Allaient-ils prendre le commissariat d’assaut ? »
(190)

Dès le début de cette histoire de L’Ecorcheur du Fontenoy, le monde du travail s’oppose à la toute-puissance des industriels, négociants, patrons… ; les veuves, femmes seules ou dans le besoin à « l’homme du château » (90).

L’Ecorcheur du Fontenoy : ouvrières des filatures de Roubaix en 1910
Ouvrières dans une filature de Roubaix en 1910 © Médiathèque de Roubaix
L’Ecorcheur du Fontenoy : une des salles du Cercle de l'Industrie en 1918
La salle de billard du très select Cercle de l’Industrie de Roubaix, en 1918

A la fois dépaysant et très convaincant, L’Ecorcheur du Fontenoy est rempli de personnages bien décrits et attachants. En conséquence, on se plonge avec délice dans le paysage urbain et social du Roubaix industriel de 1890.

Officiellement promu journaliste  au Populaire à la fin de cette première aventure des Mystères de Roubaix, Arnaud Dupin est le héros de toutes les enquêtes à suivre. Prochaine étape, le quartier des Longues Haies ! (2)

 

On souhaite un beau succès à la nouvelle série polar de Philippe WARET. Peut-être un jour y aura-t-il des visites organisées à Roubaix sur les traces de ses héros, méchants et gentils ? J’y participerai !

Merci à Pôle Nord Editions de m’avoir permis de découvrir ce livre.

 

NOTES :

(1)  Article de La Voix du Nord en date du 29/12/2017 : « Il consacre une série de romans policiers aux anciens quartiers de Roubaix » par Charles-Olivier Bourgeot.
(2) La Petite Main des Longues Haies, 2ème tome de la série (Pôle Nord Editions, 1er octobre 2017)

 

En Savoir plus :

  • Acheter et lire le roman « L’Ecorcheur du Fontenoy » de Philippe Waret (Pôle Nord Editions, Coll. Les Mystères de Roubaix, 2017)

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