Thriller : « La Nuit du Renard » de Mary Higgins Clark… (1/4)

La Nuit du Renard de Mary Higgins Clark

La Nuit du Renard de Mary Higgins ClarkLe calcul et le hasard…

Ca ressemble au titre d’un épisode des « Mystères de l’Ouest », mais « La Nuit du Renard » est le titre français du troisième polar de Mary HIGGINS CLARK (titre original : « A Stranger is watching »), sorti en 1977.

Celui aussi qui l’a fait connaître en France, consacré par le Grand prix de littérature policière en 1980.

Souvent étudié en classe de 3ème, ce petit polar d’à peine plus de 200 pages se passe en grande partie en plein New-York et c’est effectivement un modèle de maîtrise d’écriture du suspense. Il est intéressant d’en découvrir les mécanismes, les points forts… et les quelques faiblesses !

Pour faire le tour de la question, 4 articles qui aborderont successivement 4 thèmes :

SOMMAIRE

1. Mary Higgins Clark, reine du suspense
–  Un compte à rebours implacable
– Précision chirurgicale
– Tous les points de vue sur un crime
– Le calcul et le hasard
2. Le débat sur la peine de mort (citations)
3. Portrait d’un serial killer
4. New-York et l’envers du décor :
– Le Biltmore Hotel
– Grand Central Terminal
– L’Oyster Bar

1. Mary Higgins Clark, reine du suspense…

  • Un compte à rebours implacable…

« Le rétablissement de la peine capitale est devenu la question la plus brûlante et la plus controversée dans ce pays depuis la guerre du Viêt-nam. Dans cinquante-deux heures très exactement, le 24 mars à onze heures trente, aura lieu la sixième exécution de l’année ; le jeune Ronald Thompson, âgé de dix-neuf ans, mourra sur la chaise électrique ». (10)*

On est à peine à la deuxième page de ce petit polar et le compte à rebours est déjà lancé. Implacable, avec un énorme enjeu. Et dès la page 14, les enchères montent, lorsque, dans une chambre anonyme de l’hôtel Biltmore, le téléviseur s’éteint sur cet énième débat télévisé pour ou contre la peine de mort et qu’on comprend qu’un tueur apparemment bien préparé s’apprête à enlever l’invitée du débat, Sharon Martin, farouchement opposée à la peine capitale, et le jeune fils de son adversaire Steve Peterson, dont la femme est morte deux ans auparavant des mains mêmes de Ronald Thompson.

Quel est le but de ce double enlèvement et de l’explosion qui doit les faire disparaître tous les deux ? Et surtout qui est ce tueur anonyme qui semble en savoir beaucoup sur la vie privée de Steve Peterson, son fils ou la mort de sa femme, puisque le coupable, on le sait (10, 12, 25), est sur le point de payer sa dette à la société, d’une manière aussi expéditive que définitive ?

  • Précision chirurgicale…

Topographie new-yorkaise au millimètre, chronologie à la minute près, la description sert la précision et la précision est du côté du tueur pour montrer un plan minutieusement élaboré, même si l’on en ignore encore l’articulation :

« L’occupant de la chambre 932 quitta le Biltmore à neuf heures trente. Il sortit sur la 44ème Rue et prit à l’est vers la 2ème Avenue. […] Sa première halte fut une boutique de fripier sur la 2e Avenue, après la 34e Rue. […] Au rayon du camping, il acheta un grand sac de marin en toile épaisse. Il le choisit avec le plus grand soin, suffisamment grand pour contenir le garçon, suffisamment épais pour que l’on ne puisse pas deviner ce qu’il contenait, suffisamment large pour laisser assez d’air quand la corde serait nouée […]. Il prit une clef dans son portefeuille et ouvrit la valise. Il en vérifia minutieusement le contenu : les photos, la poudre, le réveil, les fils métalliques, le détonateur, le couteau de chasse et le revolver. Satisfait, il referma la valise. » (19-20)

On suit le tueur à la trace, à travers un itinéraire ultra précis :

« Il avait pris l’autoroute du Connecticut, puis l’autoroute sud River Parkway et ensuite celle de Cross County en direction de l’autoroute Henry Hudson. Il se sentait en sécurité sur les routes à grande circulation. Mais, plus il approchait du périphérique West Side vers le centre de Manhattan, plus il prenait du retard […]. Il était 19h10 quand il avait quitté le périphérique du West Side sur la 46e Rue. Il longea un demi-bloc à l’est, et vira rapidement dans une impasse qui aboutissait à un entrepôt. Là, il n’y avait pas de gardien et il en avait pour une minute à peine. » (49)

Et pendant que les horloges de Times Square ou de Grand Central égrènent les heures et les minutes, le périmètre de la scène de crime se précise :

« Nous sommes dans le centre !  Cette constatation surprit Sharon, l’aida à reprendre ses esprits. Elle devait rester calme. Elle devait faire tout ce qu’ordonnait l’homme. La voiture approchait de Broadway. Elle voyait l’horloge de Times Square. 19h20… Il n’était que 19h20 […]. Ils descendirent la 5ème Avenue. Il y avait très peu de piétons. Il faisait trop mauvais, trop froid pour marcher dans New York. La voiture vira à gauche sur la 44ème Rue. Où les emmenait-il ? La 44ème était une impasse. Elle s’arrêtait devant Grand Central. L’ignorait-il ? L’homme passa deux blocs, jusqu’à Vanderbilt Avenue et prit à droite. Il se gara près de l’entrée de l’hôtel Biltmore, juste en face de la gare » (51-52)

  • Tous les points de vue sur un crime :

Mais surtout, le roman, toujours écrit à la 3ème personne, adopte les points de vue successifs de tous les gens impliqués de près ou de loin dans l’affaire (l‘avocat du jeune condamné à mort, les voisins âgés de Peterson, leur femme de ménage, etc…), laissant au lecteur le soin de recouper l’information et ce, alors même que l’enquête du FBI piétine ou s’égare sur de fausses pistes (Sharon Martin n’aurait-elle pas mis en scène son propre enlèvement pour tenter de différer l’exécution ?) (120).

Le court polar se compose ainsi de 52 chapitres, d’une demi-page à une dizaine de pages, chacun épousant le point de vue d’un personnage :

Répartition des chapitres par personnage.

Le suspense, comme les infos utiles à l’enquête, est savamment distillé. Tout se met en place petit à petit, le plan se révèle (la « big picture », comme disent les Américains), comme les pièces d’un puzzle assemblé par des mains différentes.

C’est seulement à la moitié du livre (p.105) qu’on apprendra qui est « Renard », le mystérieux kidnappeur.

Et avoir le point de vue du criminel en même temps que celui des victimes ou des enquêteurs est non seulement malin, mais finalement assez unique : au centre de l’action, le lecteur concentre la pression maximale.

A 11h 42 le fameux mercredi, les derniers fils se dénouent et les personnages partagent enfin le dernier chapitre : l’avocat vient chercher la mère de Ronald Thompson à l’église et lui annoncer la libération de son fils, Roger le voisin annonce la bonne nouvelle à sa femme Glenda, l’enquêteur du FBI console la SDF amie de Lally, Steve parle à Sharon, Neil est là aussi (219-222)…

  • Le calcul et le hasard

Le calcul et la résolution du criminel, le métier des enquêteurs, l’enchaînement des souvenirs et la simple faculté de déduction d’une victime (ici, Steve Peterson),  ont également fort à faire avec les coups du hasard qui émaillent avec art, malice, et parfois une grande cruauté de la part de l’auteur, le récit, repoussant parfois de quelques chapitres une révélation capitale.

  • Comme il arrive souvent dans les métropoles et plus encore dans les lieux de passage comme la gare de Grand Central, des gens se croisent à quelques minutes près sans se voir : ainsi S. Peterson monte dans un train pour rentrer chez lui au moment même où Renard pénètre dans la gare pour y cacher Sharon et le petit Neil (41).
  • D’autres se reconnaissent sans pour autant se connaître : Lally, la SDF qui vit dans les sous-sols de la gare, reconnaît au buffet de la galerie du Biltmore l’inconnu (Renard) qui a mis la main sur « sa pièce » secrète. (106) De même dans les dernières pages, Steve dans la foule des gens qui évacuent Grand Central aperçoit Renard qui descend au niveau inférieur de la gare et veut le suivre (213). A 11h27, soit trois minutes seulement avant l’exécution de Ronald Thompson, suspense oblige, deux agents du FBI tentent de le retenir et de le faire évacuer (214) !

Aussi imprévisible que le coup de sonnette à la porte d’entrée des Peterson deux ans auparavant, il y a aussi, tout au début :

  • la fourrière qui embarque la voiture des Vogler « empruntée » par Renard (88).
  • Marian Vogler qui y découvre la bague laissée par Sharon et se l’approprie (93).
  • L’émotion qui submerge Steve Peterson au moment où ses voisins lui présentent leur nouvelle femme de ménage (97) et l’empêche de reconnaître à son doigt la bague qu’il a lui-même offerte à Sharon. Ce n’est qu’à la page 198 qu’il la repère enfin et comprend le message envoyé par Sharon.

Et ces interventions multiples du hasard concourent à mettre en valeur l’élément humain qui, d’où qu’il vienne, est toujours susceptible de ruiner les meilleurs plans et, s’il en est trop absent, les meilleures constructions policières !

Car c’est finalement ce qui est au cœur de ce livre : les regrets, les fantasmes et délires, les aspirations de chacun… C’est ce qui en fait, aussi, un très bon livre.

A suivre :
« La Nuit du Renard » de Mary Higgins Clark (2/4) : Le débat sur la peine de mort (Citations)…

* la numérotation des pages fait référence à l’édition du Livre de Poche, publiée en 1977.

 

Cette série sur « La Nuit du Renard » de Mary Higgins Clark est ma première participation au Challenge New-York avec Café Powell –

 

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