« Forensics : the Anatomy of Crime » par Val McDERMID (1/4)…

200 ans de sciences médico-légales…

Quand une auteure de polars décide de partager avec ses lecteurs toutes ses notes personnelles et les connaissances médico-légales qui lui servent quotidiennement pour écrire ses histoires, on se précipite, non ?

C’est après avoir lu « Dead Beat » de l’auteure écossaise Val McDERMID , que je suis tombée sur son titre « Forensics : The Anatomy of Crime », visiblement pas un polar, mais un livre « sérieux ». J’ai ensuite découvert qu’il était tout récent : 2014 !!! Alors j’ai foncé !

Il n’existe pas (pas encore) de traduction française du livre, donc faites-moi confiance pour partager avec vous le meilleur de ce bouquin passionnant, qui récapitule les avancées des sciences médico-légales à travers chacune de ses spécialités, ses pionniers et ses grandes figures historiques, ses faits divers et les grands procès qui ont fait bouger les lignes, illustrés par la pratique des experts britanniques actuels que la romancière a pu rencontrer.

Façon feuilleton de l’été, on commence avec les 3 premiers chapitres du livre qui explorent :
1/ la scène de crime
2/ la scène d’incendie
3/ l’entomologie.

En plus, le livre ressemble à un livre-objet avec sa mouche nécrophage qu’on retrouve partout entre les pages du livre…

1. La scène de crime

On commence avec la fameuse CSI ou « Crime Scene Investigation » et le travail de ceux qui « découvrent les preuves et les interprètent pour finalement les présenter lors du procès » (3) :

« the people who find evidence, interpret it and eventually present it in court ». (3)

Sécurisation des lieux, préservation (8), photographies (9) parfois prises à l’aide d’un appareil rotatif qui permet aux jurés de visualiser les lieux, voire de s’y promener de manière virtuelle (9), récupération/collecte des éléments de preuve qui seront envoyés aux différents labos spécialisés (balistique, taches de sang, etc.), « la gestion de scène de crime est en première ligne lors d’une enquête criminelle » (4).

Les pionniers de la discipline sont évidemment Edmond LOCARD et son célèbre « principe d’échange » formulé en 1910 (5), mais le fondateur du tout premier laboratoire de police scientifique reconnaît l’influence de Sherlock Holmes et de son étude sur les cendres de cigares dans « Une Etude en Rouge » publié en 1887.

Val McDERMID cite également l’Américaine Frances GLESSNER LEE, fondatrice de la Harvard School of Legal Medicine en 1931 et créatrice des « Nutshell Studies of unexplained Death », scènes miniatures qui ont révolutionné l’étude des scènes de crime (6).

L’appréhension d’une scène de crime est détaillée à travers le cas d’une policière abattue par de cambrioleurs dans l’exercice de ses fonctions (affaire Sharon Beshenivsky en 2005) (6-8). Le « CSI effect » est abordé à travers l’affaire des viols en série du Wiltshire en 2011, où le coupable se fait piéger par sa dernière victime qui s’inspire de ce qu’elle a vu à la télévision pour laisser sur la scène de crime les preuves qui permettront d’incriminer son violeur (14-15)

Après avoir présenté la formation des CSIs au Royaume-Uni, Val McDERMID conclut sur le problème poignant des moyens financiers et l’utopie du « real-time forensics », qui permettrait en particulier de traiter les cambriolages de la même façon que les crimes majeurs (16).

Le Saviez-vous ? Le Royaume-Uni a créé sa propre base de données nationale de chaussures qui lui permet de relier scènes de crime et traces de pas (13).


« Une Etude en rouge », le premier Sherlock Holmes (1887)
Edmond Locard fonde le premier laboratoire de police scientifique (1910)
Frances Glessner Lee invente les scènes de crime miniature (Années 40-50)
Création de la UK National Footwear Database (2007)

 

2. L’analyse de scène d’incendie

Savoir comment le feu fonctionne, aborder une scène d’incendie comme un site de fouilles archéologiques, couche après couche, depuis les parties les moins endommagées vers l’intérieur pour ne pas contaminer les preuves (31), étudier la manière dont le feu a brûlé (les « burn patterns »), le circuit électrique (33), éventuellement quadriller la scène et en numéroter les parties pour en analyser finement tous les débris (31), identifier l’origine probable du feu – dans une scène d’autant plus difficile à « lire » qu’elle a été couverte d’eau (30) -, rechercher les éventuelles sources d’ignition (allumettes, briquet, bougies), les combustibles (journaux, poubelles…) (31) et les accélérants (essence, paraffine, white spirit) (34) avec l’aide de chiens renifleurs (33), et enfin essayer d’imaginer les lieux tels qu’ils étaient avant le début de l’incendie (31), tout cela malgré l’odeur de brûlé et de fumée qui vous prend à la gorge (24), l’expérience et la formation comptent dans le domaine de l’analyse de scène d’incendie plus que dans d’autres (32).

Le Saviez-vous ? Un feu laisse souvent une trace en « V », pointant vers son origine (31) et non, la petite allumette de bois qui a servi à allumer votre grand feu ne disparaîtra pas dans l’incendie. En effet, la roche abrasive utilisée pour fabriquer la partie inflammable d’une allumette contient des diatomées, qui permettront même aux experts d’identifier la marque de vos allumettes et, in fine, de vous coincer (31) !!! Essaierez-vous de brûler un corps pour cacher un meurtre ? Pour faire court, un feu reste rarement assez chaud pour détruire toute trace d’un crime (37). Tenez-vous le pour dit !

Alors que le chapitre s’ouvre sur le grand incendie de Londres au 17ème siècle (18), c’est le britannique Michael FARADAY (1791-1867) qui s’impose comme le premier véritable spécialiste du feu, notamment grâce à la publication de ses cours sur « The chemical History of a Candle » (20-21).

Niamh NIC DAÉID, l’experte actuelle interrogée par Val McDERMID reste marquée quant à elle par l’incendie de la discothèque le Stardust, la nuit de la Saint-Valentin 1981 à Dublin : 48 morts, pour la plupart âgés de moins de vingt ans et 240 blessés sur le total de 500 à 800 personnes présentes ce soir-là dans la boîte (23-25). Les débats d’experts autour de la cause de l’incendie se poursuivirent longtemps avant d’être officiellement clos quelques 27 ans après le drame.

Du côté des admirateurs pathologiques du feu, l’histoire qu’on garde en tête est sans doute celle de John ORR, ce pyromane californien auteur de plus de 2000 incendies entre 1984 et 1991, et lui-même capitaine des pompiers de Glendale spécialisé dans les enquêtes pour incendie criminel… (Déjà entendue dans « Les Enquêtes impossibles » de Pierre BELLEMARE : « Pompier et pyromane »), l’enquête sur ce serial incendiaire est racontée dans un livre de Joseph WAMBOUGH « Fire Lover » (2002) et dans un film produit par HBO « Point of Origin », sorti la même année (38-40).


Le chimiste et physicien britannique Michael FARADAY (1791-1867)
Chien renifleur d’hydrocarbures – ©DR
Méfiez-vous des allumettes ! – ©Sebastian Ritter
L’histoire du pompier pyromane John Orr est racontée dans « Fire Lover » de Joseph WAMBOUGH.

 

3. Entomologie

Pour ce qui est de l’utilisation des insectes pour la résolution d’une enquête criminelle, on en trouve la première trace écrite dans le livre « Cas collectés d’injustices réparées » (en anglais : « The Washing away of Wrongs »), un manuel à l’intention des légistes et enquêteurs de police publié par le légiste Song Ci, en 1247, à l’époque de la Chine impériale

L’histoire du meurtrier identifié par les mouches venues se poser sur sa seule faucille – au milieu de 70 autres ! – a d’ailleurs été racontée dans le roman « Le Lecteur de Cadavres » d’Antonio GARRIDO, paru en 2011 (et en 2014 pour sa traduction française)…

D’une manière plus générale, l’entomologie médico-légale ou entomologie forensique sert à estimer l’heure de la mort, en observant les différents insectes trouvés sur un cadavre ou autour de celui-ci et leur stade de développement, ainsi que l’a montré en 1893 le vétérinaire français Jean Pierre MÉGNIN dans un ouvrage fondateur resté longtemps LA référence en la matière : « La Faune des Cadavres » (45-46).

Presque un siècle plus tard, en 1986, Kenneth Smith, entomologiste au Museum d’Histoire Naturelle de Londres met à jour les connaissances acquises dans le domaine avec son « Traité d’Entomologie forensique » (46). Parmi tous les insectes, les « mouches à viande » (blowflies) ou calliphoridae sont les plus utiles, car les plus rapides à sentir et s’installer sur un corps, leur croissance et les espèces locales si bien documentées qu’on peut savoir où le meurtre a eu lieu, même si le cadavre est déplacé (51) !

La vocation de son successeur Martin HALL, rencontré par Val McDERMID, est née en Afrique, lorsqu’il a observé la dépouille d’un éléphant se transformer en squelette en une semaine sous l’action des asticots,  et en millions de mouches au bout de deux (47).

En Angleterre, c’est l’affaire Buck Ruxton, du nom de ce médecin qui assassina sa femme et leur servante en 1935 et pensa pouvoir se débarrasser des corps coupés en 70 morceaux (« The Jigsaw Murders » ou Meurtres à la Scie), qui apportera toute sa crédibilité à cette science (48-51)….

Le saviez-vous ? Les asticots sont capables de venir à bout de 60% d’un corps humain en moins d’une semaine (53) ; leurs activités digestives sont tellement intenses qu’elles font monter la température des cadavres jusqu’à 50°C (56).


Vétérinaire dans l’armée française, Jean Pierre MÉGNIN étudie « la Faune des Cadavres » (1893)
Larves de mouches calliphoridae – ©Natural History Museum London
Mouche calliphorida adulte (nécrophage)
Affaire Buck Ruxton (1935). Non seulement les asticots confirment la date du meurtre, mais la photo de l’épouse vivante se superpose parfaitement au squelette du crâne !

La suite est à lire dans « Forensics : the Anatomy of Crime » par Val McDERMID (2/4) :
3. l’autopsie
4. la toxicologie
5. l’étude des empreintes digitales ou dactyloscopie

En Savoir plus :

 

 

 

 

 

 

 

 

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