« Jonathan Creek » (2/3)

 

La caractérisation dans « Jonathan Creek »…

A quoi ça tient, une série culte ?

Dans le cas de la série britannique « Jonathan Creek » de David RENWICK (1997), nous avons identifié trois grandes thématiques qui font de la série un succès :

  1. la forme particulière des enquêtes qui recourt au genre classique de l’énigme, de moins en moins usité et intellectuellement très motivant
  2. la caractérisation des personnages, excentriques à souhait, imprévisibles et tellement drôles
  3. l’humour anglais, au meilleur de sa forme.

Intéressons-nous donc à l’incroyable galerie de personnages dressée par David RENWICK dans la série « Jonathan Creek »…. (1)

 

Entre folie des grandeurs et illusion comique…

Dans le rôle du magicien illusionniste (Jonathan Creek n’est que le consultant qui met au point tous ses tours) : Adam Klaus, interprété à partir de la saison 2 par l’acteur américain Stuart MILLIGAN.

Adepte des mises en scène à grand spectacle avec fouet, eunuques, momie et sarcophage (1×1), il tente régulièrement des records médiatiques : enterré vivant dans un cercueil (2×3, 4×5) ou crucifié (4×5), et n’hésite pas à participer à la Ferme Célébrités (4×6) ou à  s’adjoindre les services du streaker qui, la veille, avait perturbé son numéro, histoire de faire grimper la notoriété de son nouveau spectacle :

« A perfect piece of theatrical misdirection »/Un moyen parfait de détourner l’attention », commente Adam Klaus qui s’est laissé conseiller par sa toute nouvelle directrice marketing (4×1).

Sa maison est à son image : toute en marbre blanc très voyant, avec double escalier, salle de sport, lit de bronzage et piscine intérieure (2×3, 2×4), et l’on peut parfois y croiser un tigre ou de jeunes fliquettes en maillot (celles-là même qui l’ont arrêté sur son happening « enterré vivant » !)…

Adam Klaus, magicien boute-en-train (Black Canary)

Véritable goujat qui saute sur tout ce qui bouge (assistantes, hôtesses de l’air, etc…), Adam Klaus est du genre à aller acheter des fleurs à une femme… et tomber sous le charme… de la fleuriste ! (3×4)

Cette libido d’adolescent le met d’ailleurs souvent dans des positions difficiles, comme en témoigne ce procès hilarant, plein d’allusions à double sens, au cours duquel Adam Klaus doit répondre de propos déplacés à une serveuse de room-service (3×1). Incapable de sentiments quels qu’ils soient, il offre à Jonathan pour son anniversaire le dernier set de bain à son effigie mis au point par son service marketing (3×5) !

Finalement, c‘est un type plutôt pas sûr de lui. Short-listé pour le British Magic Awards 1999, il organise une véritable campagne de relations publiques, avant de se décourager et passer la soirée à gratter la guitare dans un pub immonde, alors qu’on l’attend pour le couronner (3×5).

Intéressant : Adam Klaus a un double dans l’épisode de Noël 2001 (« Satan’s Chimney »), un certain Alan Kalanak (ils ont les mêmes initiales !), sorte de Houdini de renommée mondiale – la version sérieuse de notre illusionniste, en somme – que la belle Carla essaie de placer en guest star dans le nouveau spectacle d’Adam Klaus.

Adam Klaus : il se voit toujours en haut de l’affiche… (4×1)

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« The Magic Man » (2)…

En comparaison, Jonathan Creek – qui est le génie appliqué derrière chacun de ses tours – fait figure de grand ado et de « no life » (ne fait-il pas partie d’un groupe d’observation des blaireaux ?!!!) (2×4)

Au pied levé, Jonathan remplace Adam Klaus dans le bain de la diva… (2×1)

Retranché à 1h30 de Londres dans un moulin qui appartient à sa famille depuis cinq générations (« pour la concentration », explique-t-il à Maddie (1×1)), il y peaufine ses tours, à partir de l’énorme documentation qu’il a constituée autour de « l’Age d’or de la Magie » incarné par le grand Houdini ou Jasper Maskelyne.

Comme les deux facettes du personnage du magicien, l’une flamboyante et extériorisée (Adam Klaus), la seconde sensible, imaginative et créative, Jonathan Creek est plus ou moins condamné à vivre dans l’ombre du maître, jouer les messagers auprès de ses conquêtes (1×1), tenir la chandelle (1×1), signer à sa place les autographes (3×1), et le cas échéant, lui sauver le coup, comme lorsqu’il prend place dans la baignoire auprès d’une appétissante chanteuse d’opéra parce que la petite amie officielle rentre plus tôt de voyage ! (2×1)

Pourtant, Jonathan Creek séduit par son esprit (sa magie ?). Alors qu’elle le connaît à peine, Sheena, l’amie de Maddie, débarque au moulin le soir même et le supplie – très sérieusement ! – de lui faire « une démo de son esprit » (1×4). « I just want you for your brain »/Ce que j’aime chez toi, c’est ton cerveau, lui susurre Maddie à l’oreille après s’être glissée dans son lit (1×5). Interviewée à la télé pour la sortie de son dernier livre, Maddie se fait voler la vedette par un Jonathan charismatique, qui fascine la journaliste, captive son audience et… frustre Maddie au plus haut point ! Jonathan Creek serait-il sexy ???

Pressenti pour le rôle, Hugh Laurie avait décliné l’offre et c’est Alan DAVIES, débarquant avec ses grands yeux, sa permanente frisée et son propre duffle-coat pour rencontrer Alan RENWICK qui avait obtenu le rôle ! D’où ce look improbable, indissociable du personnage dans toute la série.

Jonathan Creek, charismatique et sexy sur un plateau de télé… (3×3)

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Curieuse-furieuse…

Pas très douée pour les énigmes, Maddie Magellan a pourtant choisi de gagner sa vie en publiant des bouquins sur des erreurs judiciaires (« Courage & Conviction » (1×1), « Murders that baffled the World » (2×2), « Scales of Injustice » (2×5) ou les phénomènes extraterrestres : « Challenging the Impossible » (3×3).

En immersion dans une communauté nudiste londonnienne (2×6)…

Bassement intéressée (1×2, 2×3), fonceuse, sans gêne et très débrouillarde (le coup de l’armoire (1×3), de l’ordi dans le magasin d’informatique (2×4), du linge sale (3×1)…), parfois même un brin insensible (1×5), elle est prête à tout pour s’adjoindre les services de Jonathan, auquel aucun mystère ne semble résister.

Et plus, si affinités !

Elle se vante de son bon sens, mais elle est avant tout curieuse (2×1), – une qualité qu’elle partage avec Jonathan (sinon pourquoi la suivrait-il dans toutes ces histoires ?) -, prête à toutes les expériences (hum !) et finalement assez facile à séduire !

Plus inexplicablement, Maddie Magellan conserve des Maltesers au congel’ ! (1×5), des Curly Wurly sous son oreiller (3×5) et rapporte ses fonds de bouteille du restau (2×3). On devine une personnalité marquée par la peur du manque et, peut-être, de l’abandon… On apprendra pourquoi dans la suite de l’épisode.

C’est aussi un personnage à très forte personnalité, super soignée et… très attachante !

Maddie lévite pour Jonathan ! (1×1)

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Maddie, aussi douée avec les indices qu’avec les hommes…

Dès le premier épisode et la démonstration de Jonathan (avec maquette et marionnettes), Maddie tombe sous le charme de l’esprit d’observation et de déduction du magicien, même si en fait il s’amuse à lui démontrer une solution – logique – en laquelle il ne croit pas une seconde !

Quand Maddie admire, Jonathan observe et se marre intérieurement. Patiemment, beaucoup trop patiemment, le très immature Jonathan attend son heure, si elle doit arriver.

Dans ce domaine du faux-semblant et des apparences (le fameux « make-believe » anglais), le scénariste aussi prend un malin plaisir à manipuler les images pour nous faire croire qu’ils ont déjà consommé (1×1, 1×2), – quand ce n’est pas le médecin de famille de JC qui les pousse l’un vers l’autre (1×5) :

« You are emotionally and sexually attracted to me », répète Maddie à Jonathan, avec les mots du toubib. « It could explain it all ! » / « Je t’attire émotionnellement et sexuellement… Ça explique tout ! ».

Maddie et le coup du « blind date » de 2 mètres de haut (1×3)

Mais comme Maddie Hayes et David Addison dans « Clair de Lune », Maddie Magellan et Jonathan Creek finissent toujours par s’engueuler (elle surtout s’enflamme), alors qu’ils pourraient être si heureux (au moins momentanément !) (1×5, 2×2).

Ils dansent une sorte de tango, un peu caricatural : je te veux, je ne te veux pas (comme sur le fauteuil hydraulique de Jordon ! (1×5) – tu y crois, je te rejette – tu n’y crois pas, je vais te rendre jaloux. Et c’est un moteur essentiel de la série.

Un contemplatif et une sanguine, pas vraiment faits pour s’entendre (2×2), mais très joueurs et qui n’aiment rien tant que se titiller… Voilà comme on se salue chez Maddie et Jonathan :

Lui : « I nearly rang you ! »J’ai failli t’appeler ! » (!!!) (1×2 ).

Et quand c’est elle qui l’appelle, elle fait toujours mine d’avoir composé son numéro par erreur (1×3).

Parmi d’autres noms d’oiseau, Jonathan Creek ira jusqu’à comparer Maddie (quand il croit qu’elle ne l’entend pas) à « an old comfy sweatshirt »/« un vieux pull confortable », et même à un « contraceptif » (X-Mas special ‘98 : Black Canary). Il faut dire que, jalouse comme une tigresse, Maddie fait tous ses efforts pour lui casser systématiquement ses coups (par exemple avec Charlotte, son amour de jeunesse qui refait surface dans l’épisode de Noël  « Black Canary »).

Pendant ce temps-là, au moulin… (2×2)

Et pourtant, elle est la première à le reconnaître : il n’y a rien entre eux…

Dans 2×2, lucide, elle tente d’expliquer leur relation à son agent littéraire : c’est idiot. Ils ne font jamais rien vraiment, et en même temps, ils ne s’autorisent pas d’autres relations, parce qu’ils se sentent attachés l’un à l’autre. Même si, à ce moment précis, Maddie est très loin de la vérité (au moulin, Jonathan est en train de conclure avec son inspectrice des impôts et c’est torride !), ils sont effectivement très proches, et Jonathan notamment est toujours prêt à venir au secours de Maddie (en cas d’invasion d’insectes dans son appartement (X-Mas special ‘98 : Black Canary), le jour où elle est cambriolée (2×4), ou, plus significativement, le jour où l’on démolit la maison où elle a grandi (2×3)).

Ce qui n’empêche pas le fantasme ! Dans 2×2, on découvre ainsi l’évolution de la maquette de la couverture du nouveau livre de Maddie. Pensant que Jonathan Creek était un personnage fictif, la maquettiste avait commencé par le représenter comme un beau black à moitié nu, son assistante comme une jolie blonde délurée La deuxième version le montre en beau gosse à peau claire, mais c’est bien la maquette où les visages de Jonathan et Maddie ont été ajoutés sur les corps de rêve que Maddie approuve, à la surprise de Jonathan à qui elle n’a évidemment pas demandé son avis (!). Dans 2×3, Maddie confie ses rêves érotiques à sa thérapeute, et celui, tout récent, où elle et Jonathan faisaient l’amour sur la scène du Royal Opera House de Covent Garden : « We were making love like olympic gymnasts ! »/ « Nous faisions l’amour comme des gymnastes olympiques », commente Maddie (!). Elle se souvient même avoir reçu un « 10 » de la part d’un juge, lorsque bizarrement le public s’est mis à les huer, réclamant le retour du jongleur…

Provoc’ à fond, tous les deux, que se passe-t-il quand ils cessent d’en parler… pour le faire ? Une impression troublante, détaillée dans 3×5 :

Maddie : “Well ! We finally did it !
Jonathan Creek : Yep !
Maddie : We won’t ever do it again !
Jonathan Creek : Probably not…
Maddie : it was like…Pffff ! I don’t know… making love to your favourite uncle
Jonathan Creek : Which you should never do…
Maddie : Not without consulting your Auntie…”

La maquette approuvée par Maddie pour la couverture de son prochain livre… (2×2)

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Une incroyable galerie de personnages…

Carla Borrego (jouée par la blonde Julia SAWALHA) remplace Maddie Magellan (Caroline QUENTIN) à partir de la 4ème saison et campe un personnage aussi détonnant et touchant que sa prédécessrice. Animatrice de l’émission télé de faits divers « Eyes & Ears », elle est mariée au réalisateur Brendan Baxter (Adrian EDMONSON), tellement à fond dans son métier qu’il ne s’aperçoit même pas que Carla et Jonathan se sont connus dans une autre vie et les pousse l’un vers l’autre, sous prétexte d’animation d’équipe et parce que suggérer une relation entre l’animatrice vedette et son consultant pourrait bien faire grimper l’audimat de sa nouvelle émission (!).

Autre personnage récurrent et très réussi, l’intriguant Detective Inspector Gideon Pryke joué par Rik MAYALL (mort le 9 juin 2014) et qui apparaît pour la première fois dans l’épisode de Noël ’98 « Black Canary ». Sorte de Horatio Caine avant l’heure, Gideon Pryke arpente les scènes de crime enneigées en bras de chemise et costume de lin, et ne se sépare jamais de ses lunettes de soleil….

Rik MAYALL, dans le rôle du Detective Inspector Gideon Pryke (X-Mas Special ’98 : « Black Canary »)

A noter : Ade (Adrian) EDMONDSON et Rik MAYALL formait un duo comique anglais de tout premier plan dans l’Angleterre des années 80 et 90.

Finalement, le casting et les intrigues secondaires étant tellement riches et soignés, même des personnages secondaires parviennent à crever littéralement l’écran dans la série « Jonathan Creek ». Comme cette vieille dame dont le mari réclame à Adam Klaus devant la justice des dommages et intérêts, pour avoir hypnotisé sa femme… qui ne se réveille plus ! Après avoir tout essayé, c’est finalement le fumet immonde d’Adam Klaus, extrait pour l’occasion du tournage de « la Ferme Célébrités » et littéralement couvert de lisier, qui ramènera à elle l’adorable old lady !

La séquence, hilarante, valait bien un diaporama :

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La prochaine fois qu’une série française, – ou même américaine, d’ailleurs – a une bible aussi étoffée côté personnages, réveillez-moi !

Pour vous, une série policière, c’est avant tout une intrigue ou les personnages comptent aussi ?

Les personnages secondaires vous semblent-ils suffisamment fouillés ?

Prochain épisode sur LeMag.sktv.fr : L’humour anglais de « Jonathan Creek »…

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(1) NB : Cette présentation a été réalisée à partir des Saisons 1 à 4 et des 2 « X-Mas specials »  de 1998 et 2001 : « Black Canary » & « Satan’s Chimney ».

(2) C’est ainsi que le surnomme Mimi, la copine trop canon de Maddie (3×4)

En Savoir plus :

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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