Musée Eden : Jack l’éventreur à Montréal…

Musée Eden : jaquette DVD

Découverte en 2011 lors du 2ème Festival Séries Mania (le vrai, le seul, celui du Forum des Images à Paris !…), la série québécoise Musée Eden m’était restée en mémoire.

Diffusée au printemps 2010 sur Radio-Canada, la série de Gilles DESJARDINS a pourtant été arrêtée à la fin de la saison 1 (9 épisodes tout de même !). Je vous la fais découvrir aujourd’hui…

La série commence au moment où les deux provinciales Camille et Florence Courval débarquent à Montréal de leur Manitoba natal pour prendre connaissance du testament de leur oncle. Il leur laisse son musée du crime, la passion de sa vie avant que lui-même ne meurt assassiné…

C’est la version non doublée que j’ai vue ! L’accent québécois fait sans aucun doute partie du charme, même si, parfois, il faut  s’accrocher !

Camille devant l'entrée du Musée Eden
Le Musée Eden de Montréal a réellement existé ! Il était tenu par deux soeurs… qui l’avaient hérité de leur oncle !

Musée Eden : plongée dans le Montréal noir du début du 20ème siècle

Ecrite par Gilles DESJARDINS et réalisée par Alain DESROCHERS, la série québécoise Musée Eden a remporté le Prix de la contribution artistique et technique au Festival de la fiction TV de La Rochelle 2010 et de nombreux prix au Canada pour la direction photo, les décors, costumes et le premier rôle pour Laurence LEBOEUF (Florence). C’est la série la plus chère réalisée à ce jour au Québec.

Et pour cause ! Plus de 70 décors, 400 costumes et 60 jours de tournage entre autres dans le Vieux-Montréal sont le gage d’images de qualité cinématographique et d’une reconstitution historique exemplaire (Voir Note 1). Avant tout, Musée Eden séduit par sa reconstitution du Montréal de 1910, noir, sale, débauché, corrompu et dangereux, aux prises avec les ligues de moralité…

Le Musée Eden de Montréal a vraiment existé !

Bas-fonds, bordels, fumeries d’opium, le Musée Eden de Félix Courval, sorte de Musée Grévin du Crime, ne détone pas dans ce décor. Il est amusant de noter que le Musée Eden a réellement existé au 284 rue Saint-Laurent à Montréal, du 28 mars 1884 jusqu’en 1940. C’était alors un musée de figures de cire proposant des représentations des grands de ce monde, une chambre des horreurs façon cabinet de curiosités et une salle de théâtre qui accueillait concerts et représentations théâtrales. « Deux sœurs en étaient vraiment propriétaires » qui l’avaient hérité de leur oncle, raconte Gilles DESJARDINS dans une interview (Voir Note 1).

Prétexte de la série, l’héritage gênant de l’oncle Félix est magnifiquement utilisé dans la série comme contrepoint de l’enquête, géré de main de maître par une Camille combattive, audacieuse et décidée à tout pour s’en sortir avec sa sœur cadette Florence qu’elle a embarquée dans l’aventure.

« Je vous avertis tout de suite, ce n’est pas un musée comme les autres… », prévient le notaire qui leur fait visiter les lieux.  « Y a pas d’œuvre d’art au Musée Eden…Y a seulement des crimes ! Des meurtres ! Les plus monstrueux de notre histoire y sont présentés… […] Bienvenue dans la galerie du sang ! »
Camille : « Et les gens paient pour voir ça ? ».
Florence : « C’est vraiment dégoûtant ! »
Le notaire : « De mauvais goût peut-être, mais c’est très bien fait. Regardez, votre oncle a acheté la vraie chambre dans laquelle les meurtres ont été commis, il a démonté les murs et puis le plancher et il a tout remonté ça ici ! »
Camille : « C’est du vrai sang ? »
Le notaire : « Celui des victimes, garanti sur facture ! » (ép 1)

Après avoir trouvé un nouvel investisseur dans le bourreau pince-sans-rire qui revendait certains de ses objets à Félix Courval, Camille décide de rouvrir le Musée Eden avec une expo consacrée au meurtre de son oncle : « Imaginez donc un crime qui vient juste de se passer présenté sur les lieux même du crime, ce serait du jamais vu ! » (ép 1). Ce sera « L’Etrangleur du Musée ».

A mesure que les meurtres de « l’éventreur du Red Light » se produisent, Camille ajoute qui la reconstitution faciale réalisée par Louis et le Dr Boyer dans l’affaire Bolduc (ép 4), qui une affiche de signalement de l’Eventreur, qui un bocal contenant les seins coupés de la troisième victime Agathe Bissonnette. « C’t’excellent ! », s’exclame Camille, fine marketeuse ; Flo est dégoûtée…

Comme se plait à le dire le notaire : « La plupart des gens sont des tueurs en puissance et […] les histoires d’horreur leur permettent de vivre leurs crimes par procuration. » (ép 1)

On se régale !

Musée Eden, document d'époque : vue plongeante sur la façade en 1899
Le Musée Eden en 1899, au 284 rue Saint-Laurent à Montréal.
Musée Eden, document d'époque : une scène datant de la fermeture du musée, en 1940
Une scène du Musée Eden original en 1940 situé, qui représentent un gorille, des kidnappeurs et un meurtrier. – Photo Conrad Poitier/Bibliothèque et Archives nationales du Québec

Jack l’Eventreur à Montréal

La série Musée Eden est aussi basée sur le personnage historique de Jack l’Eventreur (qui sévit à Londres dans le quartier de Whitechapel en 1888). Ainsi à partir de l’ép 3, chaque nouveau chapitre de la série s’ouvre sur un meurtre de femme terrible :

  1. Victorine Dubayet, 63 ans, pendue dans une cage d’escalier (ép 3)
  2. Lucie Bolduc, retrouvée carbonisée près de la rivière (ép 4)
  3. La prostituée Agathe Bissonnette, éventrée et mutilée (on lui a coupé les seins) (ép 5)
  4. Catherine Duval, décapitée à la hache (ép 6)
  5. Christine Dumont, éventrée comme les autres et la langue arrachée (ép 7)
  6. Martine Theriault, écorchée comme un animal (ép 8)
  7. Et enfin Tarba Moreau, coupée en 7 morceaux (ép 9).
    Musée Eden : sur chaque scène de crime de l'éventreur, une inscription extraite de la Croix de Saint-Benoît
    Croix de Saint-Benoît.

On le sait dès la deuxième victime, toutes ont eu l’utérus enlevé et remplacé par une pièce d’or… Un médecin, gynécologue ou avorteur, est désormais soupçonné, comme dans la série de Londres. Chacune des femmes semble avoir subi le martyr infligé à la sainte dont elle porte le prénom et sur chaque scène de crime, des lettres ont été tracées avec leur sang (SMQLIVB, NSMV, VRS, NDSMD, CSSML…) que le légiste identifie comme les formules latines d’exorcisme gravées sur la croix de Saint-Benoît (sur la croix de Saint-Benoît, voir Note 3). Ces crimes sont-ils ceux d’un fanatique ? Le début prochain du Congrès eucharistique de Montréal apporte sa dose d’urgence à la résolution de ces horribles crimes.

Le suspense est en tous cas parfaitement maîtrisé dans Musée Eden, les infos amenées intelligemment au cours des épisodes, même si l’on regrette le trop grand nombre de fausses pistes et d’écrans de fumée successifs, certains beaucoup trop compliqués (l’histoire des frères Chacal dans les épisodes 5 et 6 ou les aveux de Joseph Vallière dans l’épisode 8). Le nombre d’épisodes aurait sans doute pu être limité à 6 au lieu de 9.

Musée Eden : Jack l'Eventreur sévit à Montréal !
C’est la théorie du journaliste de La Patrie : Jack l’Eventreur a quitté Londres pour Montréal et il continue de tuer…

Musée Eden : des acteurs à la hauteur

Point fort de la série Musée Eden, l’équilibre de douceur, de comédie et de romance, dominée par l’histoire de Florence et Louis…

Malgré le jeu décevant d’Eric BRUNEAU dans le rôle du journaliste Monestier, on apprécie

la belle présence d’acteurs confirmés tels que Guy NADON (dans le rôle de l’inspecteur Dagenais), Paul DOUCET (dans celui du légiste Boyer), Gaston LEPAGE et Suzanne CHAMPAGNE en couple avocat-assistante qui se découvrent sur le tard et la fraîcheur de Laurence LEBOEUF (Florence) et de Vincent-Guillaume OTIS (Louis Morin), qui est partout actuellement à la télé québécoise !

Personnellement, j’attribue aussi un prix d’interprétation à la petite Alphonsine : « Noooon ! Je veux pas être un garçon ! »…

 

Les grands thèmes de la série québécoise

 

Le Montréal de la série Musée Eden est loin d’être paradisiaque. Il est au contraire décrit comme « Montréal pandemonium », la capitale de l’enfer (ép 4).

Selon les mots du notaire qui accueille les deux sœurs à leur arrivée dans le premier épisode :

« Disons que… Montréal est une grande ville assez appréciée des criminels » (ép 1)

Le testament ouvert, elles assistent au procès de l’assassin supposé de leur oncle, un jeune Italien amant de Félix Courval, même si « dans les cours de justice : personne ne parle de ces choses-là ! » (ép 1). A une enquête de police bâclée et des aveux signés sous la contrainte s’ajoutent le procès expéditif et la peine de mort qui l’est encore plus. Santini, innocent, est pendu dès le lendemain de sa condamnation (ép 2), ébranlant même les convictions du bourreau :

« Si c’est vrai qu’il est innocent, ça veut dire que moi… j’suis un assassin ! » (ép 2)

Le journaliste de La Patrie, cité comme témoin, pointe une justice corrompue et est aussitôt arrêté, condamné à 1 an de prison pour « mépris de cours » et passé à tabac dans sa cellule (ép 3).

Dans un Montréal gangréné par la corruption, la drogue et la prostitution, l’histoire de Cam’ (Camille) Courval est avant tout celle de la conquête de l’indépendance. Elle a quitté le Manitoba et rejoint Montréal sous son nom de jeune fille pour fuir un mari violent qui a tous les droits sur elle (ép 1) et sur ses biens (ép 2) :

« Il n’est pas question qu’on retourne d’où on vient ! », clame Camille.

L’image de la femme dans Musée Eden – pute, femme battue, sténo engrossée puis virée par son patron, à la merci d’avorteurs clandestins (ép 4) – n’est vraiment pas glorieuse :

« J’ai honte, Florence. J’ai honte. J’ai honte de tout ce que j’ai vécu. J’ai honte de ce que je suis devenue. J’ai honte. J’ai tellement honte. J’voudrais tellement être encore ta grande sœur… » (ép 2)

Grâce à son courage et sa réactivité, Camille finira par acheter sa liberté et divorcer de son mari Victor Desilets.

« Je l’ai rencontré, je l’ai confronté, puis ça a marché », annonce-t-elle fièrement à Monestier, le journaliste, devenu son amant (ép 9).

Musée Eden : le mari médecin de Camille Courval est-il le coupable ?
Victor Désilet, mari violent et drogué de l’aînée des sœurs Courval, est le principal écran de fumée de l’enquête du Musée Eden.
  • Musée Eden et les débuts de la médecine légale

Peu vraisemblable, mais passionnant, la série québécoise Musée Eden utilise tout l’assortiment des techniques de police scientifique qui commençaient tout juste à émerger à l’époque, en 1910 :

  • L’autopsie est ainsi pratiquée dès le 1er épisode (sur le malheureux oncle Félix) et dans tous les suivants. Le Dr. Boyer, présenté comme étant « diplômé de l’institut médico légal de Paris » (!) (ép 1) y dispose d’une morgue dernier cri – si j’ose dire ! – avec 2 tables de dissection en parallèle.
  • La photographie judiciaire (ép 3)
  • L’entomologie médico-légale qui permet de dater précisément la mort (ép 3). Dans le cas de Victorine Dubayet, la présence d’une larve de calliphora vicinasignifie que le décès « remonte à 3 jours exactement », selon le légiste.
  • La reconstitution faciale (ép 4). Avec l’aide de Louis Morin, le sculpteur de cire du Musée Eden, Boyer procède à la reconstitution faciale de Lucie Bolduc, qui a été retrouvée calcinée. Malin, le légiste a eu l’idée d’inspecter les nids d’oiseau à proximité de la scène de crime et a ainsi pu déterminer la couleur de cheveux de la morte !
  • Le détecteur de mensonge (ép 8)
  • Les empreintes digitales (ép 9) sont « les seuls témoins qui mentent jamais », selon le légiste Boyer. Mais le coroner est sceptique : « Pis vos empreintes digitales, c’est même pas reconnu en cour ! « (ép 9), comme Camille Courval : « J’vous parle de meurtrier, vous m’parlez manucure ! » (!!!)
  • Les diatomées (ép 9) pour poser le diagnostic de noyade et même identifier avec sûreté le lieu de la noyade.

Pour l’aspect scientifique de toute cette enquête aussi, la série québécoise Musée Eden séduit.

En bref, Musée Eden est une série policière très convaincante avec son mix de thriller, de reconstitution historique, de comédie et de romance (et la touche exotique d’accent québécois en plus !). Superbement interprétée dans l’ensemble, Musée Eden est aussi parfaitement tendue dramatiquement. Jusqu’à la fin, l’identité du (ou des) tueur(s) est maintenue dans le flou, obscurcie entre autres par l’ombre du mari violent de l’héroïne, le sombre docteur Desilets.

Parmi les trouvailles de scénario de la série québécoise, c’est une femme abusée par son mari qui est au cœur de l’enquête sur l’Eventreur du Red Light. Sa sœur Florence quant à elle pense que l’éventreur a lancé à Camille le défi de l’arrêter, parce que c’est une femme !  (ép 8)

 

NOTES :

 

En Savoir plus :

 

 

Laisser un commentaire