« ADN superstar ou superflic ? » de Catherine BOURGAIN et Pierre DARLU…

L’ADN en débat…

Nouvel argument de vente de certains cosmétiques, passé depuis longtemps dans le vocabulaire courant, l’ADN n’est plus « l’apanage des seuls scientifiques » (intro 7), mais est de tous les débats sur l’orientation sexuelle, le racisme, les politiques de santé publique ou la médecine de demain, l’immigration, la famille, l’institution judiciaire ou encore la police (8), et fait aussi l’objet d’enjeux très importants pour les grands laboratoires pharmaceutiques, les sites  de vente de tests sur internet, les associations de malades, les passionnés de généalogie, etc… etc…

Sorti en janvier 2013, le livre « ADN superstar ou superflic ? » de Catherine BOURGAIN et Pierre DARLU, deux chercheurs en génétique humaine, propose de faire le point sur l’état de la recherche sur l’ADN, ses multiples utilisations, ses pouvoirs réels ou fantasmés, les enjeux économiques qui s’y rapportent et les questions qu’ils soulèvent pour le citoyen.

Fiction(s) et réalité(s) de l’ADN détective…

  • Le pouvoir d’identification de l’ADN

La méthode de séquençage de l’ADN par Alec JEFFREYS remonte à 1985. Chaque individu peut désormais être identifié par son « empreinte ADN » (18-19) et dès 1987, la police anglaise l’utilise pour confondre un violeur. L’année suivante verra « la première arrestation d’un criminel multirécidiviste sur la base de ses empreintes génétiques » (20). La longue carrière de ce que les auteurs appellent « l’ADN détective » commence, les progrès récents concernant « l’analyse d’échantillons biologiques toujours plus petits, potentiellement très dégradés (…) et l’automatisation des procédures » (20).

L’empreinte génétique n’étant pas directement accessible, plusieurs étapes sont nécessaires (recueil des échantillons, transport, isolation de l’ADN, traitement informatique des données, traitements statistiques), qui toutes impliquent des risques (erreurs de manipulation, d’étiquetage, de saisie des données) et des choix (choix de la technique utilisée, choix des outils statistiques et de leur interprétation…). (24)

On est donc loin de l’ADN infaillible, cet « arbitre scientifique que la justice attendait depuis toujours » (9), « directement capable d’identifier, au contraire du témoin visuel, « trop humain » pour être aussi fiable que la technologie » (17)

Comme dans tout le livre, en plus de patientes explications scientifiques de vulgarisation, de nombreux exemples pris dans la réalité des affaires judiciaires viennent à l’appui des démonstrations…

« Dans les pays où le dispositif judiciaire organise la confrontation d’experts cités par l’accusation et par la défense (Etats-Unis, Royaume-Uni…), les analyses génétiques sont entrées dans les cours de justice. Elles y sont étudiées en détail, les partis pris des experts dans les analyses sont révélés, les fragilités des conclusions sont mises en lumière. Le mythe de l’ADN superhéros infaillible est régulièrement mis à mal », expliquent les auteurs (27).

Un débat qui n’a pas lieu dans notre pays.

  • Les fichiers d’empreintes génétiques

Le premier fichier national d’empreintes génétiques date du milieu des années 1990 au Royaume-Uni (NDNAD) (27). Aujourd’hui :

  • Quelques 2% de la population des Etats-Unis serait fichée
  • Et 8% de la population du Royaume-Uni (Angleterre et Pays de Galles)

Le fichier français automatisé des empreintes génétiques (FNAEG), lui, est né en 1998, suite à l’affaire du violeur de l’Est parisien Guy Georges et n’est au départ qu’un fichier des délinquants sexuels, qui sera élargi en 2001 (suite aux attentats du 11/09) aux « crimes d’atteinte grave aux personnes (homicides volontaires, actes de torture, de barbarie, de terrorisme, violences et destructions criminelles) (30-31), et en 2003 par la loi Sarkozy sur la sécurité intérieure, à « tous les crimes et délits (…), à l’exception des délits routiers, des infractions à la législation des étrangers et à la législation financière ». (31)

De manière drôle, en 7 ans, le rapport entre condamnés et « mis en cause » (c’est-à-dire suspectés, mais non condamnés) recensés dans le fichier national s’est totalement inversé :

  • Le nombre de traces biologiques non identifiées reste stable autour de 5%
  • Le fichier qui comptait 70% de condamnés et 25% de mis en cause en 2003 est passé à 20% de condamnés et 75% de mis en cause en 2010.

D’un point de vue pratique, lors d’une enquête, le fichier permet de relier entre elles différentes affaires, et même d’identifier un suspect grâce à l’ADN de sa famille (Affaire Elodie Kulik en 2011) (33-34).

« Le fichage n’est plus strictement personnel, parce que l’ADN ne saurait être strictement personne. Il est par nature largement partagé dans les familles ». (34)

L’efficacité du FNAEG mise en avant par les autorités est d’ailleurs difficilement démontrable, puisque les résultats ne distinguent pas l’origine des différents profils (suspects d’une affaire, profils existant dans la base ou profils anonymes)… (35-36)

Les menaces sur la liberté et la vie privée sont donc très réelles et les auteurs évoquent notamment l’évolution de la pratique de la garde à vue (37), les possibles erreurs judiciaires, la révélation fortuite de liens familiaux et les problèmes de sécurisation d’un tel fichier…

  • « Marchands d’ADN »

Attribuer une morphologie ou des traits physiques à certains gènes, déterminer l’origine généalogique ou géographique de votre famille ou de suspects d’attentats grâce à l’analyse du génome d’un individu : fiction ou réalité ?

Si les tests génétiques sont encadrés par une procédure juridique stricte en France, ce n’est pas le cas, notamment, aux Etats-Unis où les « marchands d’ADN » (155) se sont emparés d’internet pour vendre au grand public des tests de paternité ou de filiation, mais aussi d’autres tests permettant par exemple de mettre en évidence des traits de caractère, certaines prédispositions, l’origine généalogique ou géographique d’une famille, ou encore pour proposer de participer librement à des études à grande échelle sur l’ADN humain.

Dans les chapitres suivants (ADN portraitiste, ADN généalogiste, ADN médecin), les auteurs mettent le doigt sur un certain nombre de récupérations marchandes et de menaces pour l’individu :

  • Que cache la vente de tests ADN dits « d’origine » à des clients grand public (illégale en France) ? (81)
  • La science de l’origine des peuples prendra-t-elle un jour la place de la tradition et de la culture, et avec quelles conséquences sur le sentiment d’identité, le droit au territoire ou les rapports sociaux de ces peuples ? (85-86)
  • Une médecine personnalisée est-elle possible ? Et quelle est la part du marketing et celle de la science dans une telle proposition ? (93-97)
  • La recherche sur la thérapie génique donne-t-elle des résultats à la mesure des investissements qui y sont consacrés ? (114-121)
  • Que se cache-t-il derrière la grand-messe du Téléthon, chaque année depuis 1987 ? Quelle recherche ? Et surtout quels résultats ? (115-118)
  • Du dépistage prénatal (121) au diagnostic préimplantatoire (130), voire préconceptionnel (134), en passant par les « bébés-médicaments » (117), quelles risques de dérives ? Quelles limites ? Quelles conséquences ?

La recherche et les découvertes concernant l’ADN se poursuivent et « l’image d’une molécule-arbitre, neutre, indiscutable et indolore » véhiculée par les séries télé policières (155) s’estompe pour laisser place à celle d’une « molécule vivante, qui évolue, circule et interagit très largement avec son environnement » (153).

Ainsi le livre, très complet, très bien conçu et bien écrit, constitue-t-il, en même temps qu’un ouvrage de vulgarisation, une saine mise en garde. Pour nos deux chercheurs, il est clair que « tout ne peut se réduire à l’ADN » (157)

L’Application pratique : de la réalité de la science à la fiction des séries…

Plus loin, ce passage en revue sérieux et documenté des diverses recherches et applications autour de l’ADN, nourri d’exemples précis, de dates et de remises en question, est un vrai bonheur pour l’amateur de séries TV policières, en fournissant la toile de fond historique et scientifique détaillée de nombreux épisodes de nos fictions préférées.

Le livre de Catherine BOURGAIN et Pierre DARLU apporte donc – accessoirement ! – un éclairage tout à fait intéressant sur la manière dont les scénaristes de séries télévisées s’emparent de l’actualité – ici, de l’actualité scientifique – pour en nourrir leurs scénarios et donner plus d’humanité, de profondeur, mais aussi de gravité à leurs histoires, – même si celles-ci, forcément, finiront un jour par sembler « datées » !

Un peu comme une suite à l’article publié sur ce blog en août 2010 « Toute ressemblance… : réalité et fiction dans les séries policières américaines », écrit à propos du livre « Crimes de Séries » d’Aurélie Poupée….

Après quelques recherches, j’ai ainsi pu identifier 3 épisodes de séries qu’il me semblait reconnaitre dans certains chapitres du livre et dont je détaille ci-après toutes les références :

Les Experts : Manhattan, 6×04, « Dead reckoning » / « Une femme peut en cacher une autre » (diffusé aux États-Unis le 14 octobre 2009, et en France le 10 septembre 2010) :

Dans une affaire de crime passionnel, une femme est innocentée, malgré ses aveux, par des traces ADN reliant la scène de crime à des dizaines d’affaires très diverses restées non élucidées. Après avoir examiné longuement la piste improbable d’une tueuse en série, Mac Taylor découvrira qu’une contamination des écouvillons à l’étape de leur fabrication en atelier est à l’origine de ces fausses pistes. On retrouve ici l’affaire dite du « fantôme de Heilbronn », détaillée à la page 24 du livre :

« Un cas emblématique des erreurs associées à l’étape de prélèvement est l’affaire dite du « Fantôme de Heilbronn ». L’analyse de traces retrouvées dans le cadre de l’enquête sur le meurtre d’une policière, en 2007, dans cette ville du sud-ouest de l’Allemagne, avait conduit la police à rapprocher une trentaine de crimes et délits et à les imputer à une mystérieuse tueuse en série. En 2009, le journal Bild lève le mystère. Les empreintes génétiques recherchées correspondent en fait à celles d’une employée de l’entreprise qui fournissait le matériel pour les prélèvements ». (24)

On pourra également lire ici le résumé dans la presse de ce retentissant échec de l’utilisation de l’ADN aux fins d’identification d’un criminel.

La même histoire sera aussi utilisée dans l’épisode 15×1 de la série britannique « Autopsie » ou « Affaires non classées » (en anglais :Silent Witness), dans l’épisode intitulé « Le Spectre » (titre original : « Death Has No Dominion »).

Dr. House, 2×03 “Humpty-Dumpty” / “Culpabilité” (diffuse aux Etats-Unis le 27 septembre 2005 et en France le 25 avril 2007)

Dans cet épisode de « House » essentiellement consacré à l’accident d’Alfredo, le couvreur mexicain qui travaillait chez Cuddy, c’est le cas du Bidil®, un médicament « ethnique » particulièrement efficace dans le traitement de l’insuffisance cardiaque dans la population des Afro-Américains, qui est évoqué à demi-mot dans le cadre d’une consultation à laquelle House va devoir participer (Voir livre pp.93-96).

Foreman a prescrit à l’un de ses patients un traitement contre la tension développé spécifiquement pour la population afro-américaine, mais le vieux refuse de jouer les cobayes d’une médecine raciste et demande à voir un autre médecin. House rusera pour lui faire prendre le médicament qui lui convient le mieux, mais les mots employés par le patient donnent à réfléchir :

« Je n’achèterai pas ce médicament raciste, ok ? Mon cœur est rouge, autant que le vôtre.  Pourquoi est-ce qu’on nous donnerait des médocs différents ? » / « I’m not buying into no racist drug, okay? … My heart’s red, your heart’s red. And it don’t make no sense to give us different drugs. »

NY Police judiciaire, 18×03, « Misbegotten” / « Sujet Tabou«  (diffusé aux Etats-Unis le  9 janvier 2008, en France : ?)

Enfin, l’évocation dans le livre du dépistage précoce des maladies génétiques telles que la trisomie ou la mucoviscidose (et la possibilité de procéder à un IVG en fonction du résultat), de même que la pratique légale aux Etats-Unis du diagnostic préimplantatoire pour sélectionner le sexe de l’enfant à naître (132-133), est développée de manière dramatique dans l’épisode 18×03 de la série« New-York Police judiciaire », dans lequel un médecin homophobe qui pense avoir découvert le « gène gay » meurt victime d’un attentat visant à faire cesser ses recherches, tandis que l’une de ses patientes, enceinte, tombe dans le coma. Le mari demandera l’interruption de la grossesse, le fameux « gène gay » ayant été  diagnostiqué dans l’ADN du fœtus…

Mais ce ne sont là que 3 histoires (parmi combien ?!) que je me souvenais avoir vues et que j’ai pu facilement rapporter aux références historico-scientifiques fournies par les auteurs.

Peut-être en avez-vous identifié d’autres ?

Si tel est le cas, n’hésitez pas à les partager en laissant un commentaire !

Merci aux Editions du Seuil de m’avoir permis de découvrir ce livre.

En Savoir plus :

2 thoughts on “« ADN superstar ou superflic ? » de Catherine BOURGAIN et Pierre DARLU…

  1. Delph dit:

    A chaque fois que je lis un de tes retours de lecture je veux acheter le livre ! Super post encore une fois complet et intéressant.

    • admin dit:

      Oh t’es mignonne ! J’adore lire des documents de temps en temps, et me faire un peu peur avec des chiffres, voir si je comprends, etc… 😉 Ce bouquin est vraiment nickel pour se fixer les idées, notamment sur la question du fichage. Un autre point de vue sur les séries !

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