Témoignage : « La Maison du Mort » de Dominique LECOMTE…

Sept ans après son premier livre “Quai des Ombres” (déjà chroniqué sur ce blog le 08/01/2011), où elle évoquait son parcours et exposait toutes les difficultés de son travail, Dominique LECOMTE, Directrice de l’Institut médico-légal de Paris, nous livre le deuxième tome de son témoignage : « La Maison du Mort », paru en novembre 2011.

Utilisant le même dispositif d’écriture, où elle est censée se confier à un ami qu’elle tutoie dans le livre, c’est à nous qu’elle s’adresse directement, nous qu’elle prend à partie, comme un philosophe antique partageant son enseignement…

Apprivoiser « la mort inattendue, illégitime »…

Plus que ses souvenirs les plus marquants de médecin-légiste ou d’autopsies, c’est son rôle d’accompagnement de la famille et des proches qu’elle décrit dans ce nouveau livre, son « rôle de passeur » (p.178), et les toutes premières étapes du deuil, celles qu’elle voit tous les jours à l’IML – souvent violentes et pleines d’émotion – et qu’elle accompagne aussi.

En effet :

« Pour mes amis, je suis le médecin des morts, mais j’ajoute toujours que je suis aussi le médecin des vivants confrontés à la mort. » (p.13)

Face à « la mort inattendue, illégitime » (p.22), qui est le lot quotidien de l’IML (« mort criminelle », « suicides », « indigents et isolés », « accidents » forment d’ailleurs les titres de quelques-uns des 14 chapitres du livre), ce moment de la première confrontation des proches avec le corps du défunt – ce qu’elle appelle ailleurs « la matérialité de la mort » (p.179) – est important pour « apprivoiser » la séparation, « la faire sienne » (p.93) et éviter les réactions violentes, « incontrôlables, visant à récupérer le corps, à le secouer, à l’interpeller en le frappant pour déceler en lui un éventuel signe de vie, à tenter de la faire revenir à lui, de lui ouvrir les yeux. » (p.86) (c’est à cela que sert la vitre séparant les proches du défunt, et qui « marque le début de la séparation » (p.78)), ou à retardement, comme ce fils qui demande que son père soit exhumé et une autopsie faite sur lui à peine un mois après sa mort pour confirmer la cause de la mort (pp.27-28)

« L’intensité de la peine et de l’angoisse atteint un paroxysme lors du face-à-face avec le corps. Le séisme est tel que la parole n’a plus cours, aucun mot ne peut sortir, le langage du corps sert seul à s’exprimer par des malaises, des tremblements, des larmes au milieu du silence ». (p.135)

Elle dit l’importance du silence (p.41), d’une « respectueuse compassion », de « l’écoute neutre » (p.71) et de la patience auprès des adultes :

« Il faut savoir attendre, accepter le silence, ne pas vouloir à tout prix le combler par des paroles, mais rester simplement à leurs côtés : le traumatisme est tel qu’il leur faut trouver l’indispensable apaisement. Souvent, un signe de respectueuse compassion suffit à faire baisser la pression, et les paroles naissent alors d’elles-mêmes, l’écoute neutre dont je t’ai parlé devient thérapeutique. On peut, dans ce premier temps, les rassurer, les aider dans la déculpabilisation, si cela se révèle possible, mais seulement à l’instant le plus approprié. Il faut savoir là encore entrouvrir une porte : «  Si vous souhaitez le revoir ou reparler de lui, n’hésitez pas » – ce qu’ils pourront entendre, car certains ne saisiront cette main tendue qu’ultérieurement, à un moment devenu plus propice, parfois longtemps après, en revenant ou en téléphonant ». (p.71)

…et à l’inverse, celle de la parole auprès des enfants et la grande nécessité de ne pas les mettre à l’écart, mais de leur expliquer et de les faire participer au « rituel de la séparation et des obsèques » (p.47) :

« La séparation reste chez lui une angoisse originelle et l’on se doit d’en prendre la mesure, car elle est source de questionnements multiples ». (pp.47-48)

Comme nombre de conférenciers au 1er Salon de la Mort d’avril 2011, Dominique LECOMTE souligne la tendance à « évacuer le problème de la mort dans la société actuelle » (p. 89) :

« Savoir prendre le temps, que ce soit pour soi ou pour l’autre, il n’est rien de plus précieux dans la vie. Prendre le temps de dire au revoir au proche qui nous a quittés lors d’une brutale séparation scelle à jamais le début de l’apaisement ; il faut donc aider, favoriser et apaiser cette ultime rencontre. […] Ces séparations hâtives, sans laisser le temps nécessaire pour apaiser le surcroît d’émotion, sont source de grandes souffrances. C’est le déchirement d’êtres qui se sont aimés sans avoir eu le temps de se le dire assez, tant la violence de l’événement a été brutale ». (pp.88-89)

Et plus loin, cet avertissement :

« Ne pas voir une dernière fois l’être cher, dans la réalité de sa mort, peut se révéler plus dommageable que la confrontation pour le devenir des proches. » (p.120)

De la morgue à la « Maison du Mort »….

Nouvel axe de l’écriture de Dominique LECOMTE, son intérêt pour l’histoire

Dès le premier chapitre de « La Maison du Mort », elle évoque ce paradoxe : la mort qui survient de manière subite est aujourd’hui considérée comme une « belle mort », alors que c’était autrefois une « mort maudite » (p. 23), à laquelle on n’avait pu se préparer… Egalement visible à travers l’histoire de l’art, le changement daterait, note-t-elle, des « débuts du romantisme et d’une sensibilité nouvelle : le droit aux larmes ».

Alors qu’elle évoque au sixième chapitre la canicule de 2003, où plus de 800 corps ont été reçus à l’IML dans l’indifférence choquante (et de plus en plus répandue) des familles (pp.95-96), elle salue l’action des bénévoles du « Collectif des Morts de la Rue » qui « accompagnent dans le fourgon funéraire de la Ville, les corps des abandonnés qui quittent l’IML à destination du cimetière de Thiais » (p.97), et son carré des indigents, comme ce vieux monsieur marchant difficilement avec sa canne, qui achète un petit pot de fleurs et compose un discours pour chacune des victimes qu’il accompagne, discours empreint du respect d’un homme à un autre et qui l’a profondément émue, dit-elle (p.100).

Dans l’avant-dernier chapitre enfin, elle explique le titre donné à son livre en retraçant l’histoire de l’établissement à Paris jusqu’en 1988 où elle en prend la direction, et comment on est passé, selon elle, de « la morgue » à « la Maison du Mort » :

« Le lieu où l’on prend soin du mort : on l’examine médicalement, on le répare si besoin est, on le prépare avant de le rendre à sa famille, toujours dans le respect de l’être qu’il fut ». (p.183)

On apprend ainsi que c’est en 1902, que la morgue devient judiciaire (« on y pratique les autopsies demandées par la justice et on y enseigne la médecine légale »). Et en 1903 « qu’une décision ministérielle lui donne le nom d’Institut médico-légal ». (p.191)

L’établissement s’installe à son adresse actuelle, Place Mazas, en 1923.

Le livre se termine sur une sorte de profession de foi sur trois pages (« Je respecte… », pp.199-201), dans laquelle Dominique LECOMTE montre à la fois son grand respect des morts, ce qu’on voyait surtout dans son premier opus, mais aussi son profond respect et son engagement auprès des vivants, à travers la multiplicité de leurs réactions, de leurs croyances ou de leurs traditions.

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