“Roseanna” de Maj SJÖWALL et Per WAHLÖÖ…

 

Le polar nordique avant « Millenium »…

Surfant avec beaucoup d’à propos sur le succès fulgurant de « Millenium » (la trilogie est publiée en France entre juin 2006 et septembre 2007), les éditions Rivages/Noir ont réédité entre 2008 et 2010 les dix polars écrits dans les années 60 par les Suédois Maj SJÖWALL et Per WAHLÖÖ, connus pour être à l’origine de la désormais très populaire tendance du « polar scandinave » ou « polar nordique ».

Petit « retour aux sources », donc, avec la lecture de « Roseanna », premier polar de cette série connue sous le nom de « Roman du Crime » et sorti en 1965, lu pour ma part dans l’édition 10/18, donc sans la préface signée Henning MANKELL et avec une autre couverture…

On y fait connaissance avec le morne inspecteur principal Martin Beck et les flics de sa brigade des homicides de Stockholm, appelés en renfort du côté de Motala où une femme vient d’être découverte morte dans la vase d’une écluse, étranglée, violée et mutilée.

Têtu, logique et d’un calme absolu, « les 3 qualités les plus importantes indispensables à un policier » (47*), Beck trouve en son correspondant sur place, l’inspecteur Ahlberg, un digne équivalent de lui-même, qui l’accompagnera jusqu’au bout de cette traque de « 6 mois et dix-neuf jours » (240). Jusqu’à l’arrestation du meurtrier…

Un polar remarquable par sa lenteur, les portraits de flics qui y sont dépeints et le récit minutieux d’une enquête jusqu’au bout indécise.

Patience et longueur de temps…

L’enquête est loin d’être facile. Impliquant un bateau de tourisme, l’affaire compte suspects et témoins par dizaines : « soixante-huit passagers, plus les dix-huit membres de l’équipage » (124). Au total 27 suspects possibles : « 12 Suédois dont 7 marins, 5 Américains, 3 Allemands, 1 Danois, un Sud-Africain, 1 Anglais, 1 Français, 1 Ecossais, 1 Turc et 1 Hollandais. » (125), tous rentrés dans leur pays ou engagés sur d’autres bateaux pour quelques jours ou quelques mois…

Il faudra d’ailleurs attendre 3 mois pour connaître l’identité de la victime, une jeune Américaine : Roseanna McGraw, 27 ans, bibliothécaire. (55), dont la disparition est finalement signalée par un certain Elmer B. Kafka (ça ne s’invente pas !), du bureau des Homicides de Lincoln, Nebraska.

Observateur cynique (sa femme après 10 ans de mariage, les curieux, les journalistes…) et généralement taciturne, Martin Beck est du genre obsessionnel, insomniaque, confondant bureau et maison et parlant aux victimes :

« Et ensuite ? dit-il en son for intérieur. Où es-tu allée ? » (65)

Bien que fondamentalement accrocheur et opiniâtre, c’est un homme qui doute et que le manque de réussite dans ses enquêtes atteint physiquement et moralement :

« Continuer… Mais combien de temps ? A mesure que les jours passaient, le regard du commissaire Hammar se faisait plus interrogateur. Et chaque fois que Martin Beck se rencontrait dans le miroir, il constatait que son masque était un peu plus hagard. » (221)

Heureusement on peut compter sur l’inspecteur Kollberg, un ancien para, pour l’humour. Melander, le troisième homme de l’équipe, est plus effacé, même si tout aussi efficace et doté d’une mémoire d’éléphant.

L’identification de la victime relance un moment l’enquête, révélant la vraie nature de policier de Beck :

« Malgré sa migraine et ses bourdonnements d’oreille, il y avait longtemps que Martin Beck ne s’était pas senti aussi bien. Il avait l’impression d’être un coureur de fond prêt à prendre le départ. Le coup de pistolet du starter allait retentir dans une seconde… […] Son cerveau de policier avait déjà commencé d’organiser les investigations de routine qui allaient se poursuivre au cours des quarante-huit heures à venir et qui, il le savait d’avance, donneraient un certain nombre de résultats. C’était aussi certain que le fait que le sable tombe quand on retourne un sablier. » (57)

Sjöwall et Wahlöö : nouvelle approche du polar…

Mais c’est un travail choral, mené en Amérique par Kafka, à Motala par Ahlberg, à Stockholm par Beck, Kollberg et Melander qui permettra à l’enquête d’aboutir.

On a donc un portrait de flic un peu « rugueux » et habité, un « police procedural » centré sur le travail d’une équipe et non d’un seul héros à qui tout réussirait, et de ce point de vue, une œuvre très moderne et très proche des histoires que nos connaissons aujourd’hui, même s’il n’y a encore ni internet ni téléphone portable et que c’est une opératrice qui vous passe votre appel des Etats-Unis ! (59)

Procédé intéressant : outre les réflexions de Beck et ses échanges avec les autres flics, les interrogatoires, – que ce soit ceux de l’Américain Kafka ou ceux menés par Beck -, sont intégralement retranscrits, façon Q&A, offrant au lecteur un accès naturel et privilégié à l’information, comme s’il avait accès à des pièces du dossier.

Les sources de Stieg Larsson….

Le sujet est ici déjà, comme dans « Millenium », la violence faite aux femmes.

« Quelqu’un avait pris une photo. Mais comment pourrait-il identifier cette femme ? Comment ferait-il pour obtenir sa photo ? » (Millenium I, Stieg Larsson, Actes Noirs, p.311)

Comme on le comprend lors du dernier interrogatoire de Folke Bengtsson dans les dernières pages du livre (244-254), l’assassin de Roseanna McGraw est l’un de ces « Hommes qui n’aimaient pas les femmes », pour reprendre le titre du premier tome de la trilogie écrite par Stieg Larsson et sorti en Suède quarante ans plus tard, en 2005.

Enfin, l’idée salvatrice dans l’enquête « Roseanna » vient de Beck, qui à la moitié du livre précisément a l’idée d’une « nouvelle approche » (126) : réunir les « 600 photos. 1000, peut-être » (127) prises par les touristes sur le bateau pour y rechercher les indices et les preuves tangibles qui pourraient les mettre sur la voie.

Et c’est précisément l’argument que Stieg Larsson utilisera dans l’enquête sur Harriet Vanger dans la 1ère aventure de « Millenium ».

Intéressant de voir, à travers ce premier livre, combien SJÖWALL et WAHLÖÖ ont influencé les écrivains de polar après eux, et de découvrir comment Stieg LARSSON, reprenant à son compte l’une de leurs meilleures « ficelles » scénaristiques, l’intègre avec art dans son énorme saga.

(*) Note : la numérotation des pages fait référence à l’édition 10/18, publiée en 1985.

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