« Forensics : the Anatomy of Crime » par Val McDERMID (3/4)…

200 ans de sciences médico-légales…

Quand une auteure de polars décide de partager avec ses lecteurs toutes ses notes personnelles et les connaissances médico-légales qui lui servent quotidiennement pour écrire ses histoires, on se précipite, non ?

SKTV poursuit la synthèse (en français !) de « Forensics : The Anatomy of Crime » de Val McDERMID paru en 2014.

Après le premier épisode qui évoquait :

1/ l’analyse de scène de crime, 2/ les particularités des scènes d’incendie et 3/ les super pouvoirs des insectes pour dater un meurtre

et le deuxième qui révélait tout sur :

4/ l’autopsie, 5/ la toxicologie et 6/ l’analyse des empreintes digitales,

Nous nous intéressons aujourd’hui à :

7/ l’ADN et l’analyse des traces de sang (souvenez-vous, c’est le métier de Dexter !)
8/ l’anthropologie médico-légale (c’est la spécialité de Temperance Brennan dans « Bones »)
9/ et la technique de reconstruction faciale (démontrée avec brio par le personnage d’Angela Montenegro dans « Bones » ou par Aiden Burn dans « Les Experts : Manhattan »).

Après la lecture de ces articles, vous n’ignorerez plus rien des différentes spécialités de la science médico-légale, de ses pionniers, des faits divers et des grands procès qui ont marqué ses avancées, grâce à l’expérience et aux commentaires des grands experts britanniques actuels que la romancière a interviewés pour l’occasion.

7. l’ADN et l’analyse des traces de sang

Reconstruire les détails d’un crime à travers l’analyse des taches de sang (en anglais : “Bloodstain Pattern Analysis” (139)) requiert des qualités d’observation et de solides compétences scientifiques en biologie, en chimie, en physique ou en mathématiques…

Le pionnier de la morpho-analyse des traces de sang est Eduard PIOTROWSKI, un légiste polonais qui publie en 1895 un article « Sur l’origine, la forme, la direction et la distribution des taches de sang suite à des blessures à la tête occasionnées par des coups »/« Concerning the Origin, Shape, Direction and Distribution of the Bloodstains Following Head Wounds Caused by Blows » et fait de vilaines expériences (et de jolis croquis !) avec des lapins vivants, pour expliquer la manière dont les projections de sang révèlent la force de l’impact, la vitesse, le type d’arme utilisé, le point d’origine (méthode des ficelles) et la chronologie des faits.

Un manuel d’analyse des taches de sang publié par le Gouvernement américain (« Flight Characteristics and Stain Patterns of Human Blood ») le remplace en 1971.

En 1955, le Dr Samuel Sheppard est accusé d’avoir frappé à mort sa femme enceinte, puis blanchi du fait qu’on ne trouve sur lui aucune éclaboussure de sang. Le beau-père de Billie-Jo Jenkins, battue à mort à 13 ans, est accusé du meurtre en 1997 sur des preuves de taches de sang et acquitté 8 ans plus tard sur des conclusions inverses…

Mais la technique d’empreinte ou de profil génétique développée par Alec JEFFREYS dès 1984 et qui permet d’identifier une personne à partir d’échantillons minimes de tissus (148), – confortée en 1986 par la technique d’amplification de l’ADN -, devient la nouvelle norme en matière de preuve médico-légale.

Pour autant, il ne faudrait pas que, par facilité, l’ADN remplace toute enquête :

“DNA shouldn’t be a lazy way to not do an investigation”, avertit Gill TULLY, généticienne au Forensic Science Service interviewée par Val McDERMID. (158)

Il y a des cas de contamination accidentelle (comme la fantastique histoire du « fantôme de Heilbronn » qui a laissé croire pendant 15 ans à l’existence d’une mystérieuse tueuse en série agissant en Allemagne et en Autriche !) (157), la possibilité de déposer l’ADN d’une autre personne sur une scène de crime (160) ou comme Colin PITCHFORK, le premier criminel à être condamné par son ADN en 1988, celle d’envoyer quelqu’un d’autre faire le prélèvement à sa place (149-150)…

Le fichage généralisé, l’utilisation de l’ADN familial pour retrouver une personne qu’elle soit coupable ou témoin (affaire Joseph Kappen en 2000, affaire Michael Little en 2004) (158-159), la possibilité de cibler l’ethnicité, voir de déterminer certains critères physiques (gène roux (162), yeux bleus…), s’ils permettent d’orienter plus rapidement l’enquête, comme dans le cas des attentats de Madrid en 2004 (161), posent évidemment la question cruciale de la liberté individuelle (159).

En 2008, une décision de la Cour de Justice des Droits de l’Homme a obligé le Royaume-Uni à supprimer 1,7 millions de noms de sa base de données ADN, la plus importante au monde. (160)

Aux Etats-Unis, la population noire étant plus « fichée » que les blancs (40% des profils ADN de la base fédérale), les chances d’être identifié, notamment via l’ADN familial, sont mathématiquement plus élevées. (159)

Si le coût et le délai des analyses ADN permettront bientôt d’y avoir recours aussi bien lors de crimes majeurs que de banals cambriolages (152, 164), les travaux sur l’existence d’un gène du guerrier prédisposant à la violence et l’utilisation qui pourrait en être faite nous renvoient plus d’un siècle en arrière, à l’époque de la phrénologie et aux élucubrations de Cesare LOMBROSO. (164)

Le Saviez-vous ? Ne serait-ce qu’aux Etats-Unis, à la date de sortie du livre, 314 prisonniers, dont certains attendaient dans le couloir de la mort, se sont vus disculpés grâce à de nouvelles expertises ADN (148).

« Sur l’origine, la forme, la direction et la distribution des taches de sang suite à des blessures à la tête occasionnées par des coups » par Eduard PIOTROWSKI (1895).
Colin PITCHFORK, premier criminel à être condamné par son ADN en 1988.
« Le fantôme de Heilbronn » sévit entre 1993 et 2008…
Découverte du gène du guerrier MAOA ou « extreme warrior gene ».

8. L’anthropologie médico-légale ou judiciaire

Grâce à leurs connaissances en morphologie et physiologie humaine, les anthropologues judiciaires participent à l’identification des restes humains en caractérisant les circonstances de la mort, qu’elle soit ou non le résultat d’une action criminelle  :

« At the heart of her job in the field is the recovery and identification of skeletal remains » (168), explique Val McDERMID interrogeant l’anthropologue judiciaire Sue BLACK.

Dans ce cadre, ils sont notamment appelés sur des scènes de guerre ou de catastrophes naturelles. Sont évoqués notamment :

  • Enquête sur les victimes de la « guerre sale » en Argentine à partir de 1984 (169-171)
  • Enquête sur les victimes de crimes de guerre au Kosovo, en 1997 (165-169)
  • Identification du corps de Che Guevara 30 ans après sa mort en Bolivie en 1997  (171-172)
  • Identification des victimes du tsunami de 2004 en Thaïlande (172)
  • Identification des victimes des attentats de Londres en 2005 (173).

C’est le travail effectué en Argentine par cette première équipe d’anthropologues, et la formation qu’elle a pu dispenser à d’autres équipes sur place, qui a permis d’établir la méthode utilisée aujourd’hui dans ce type d’enquête sur les violations des droits de l’homme :

« For the first time in the history of human rights investigations […], we began to use a scientific method to investigate violations. We started out small, but it led to a genuine revolution in how human rights violations are investigated. The idea of using science in the human rights area began here, in Argentina, and it is now used throughout the world”, explique Clyde SNOW, l’anthropologue medico-légal interviewé par l’auteure. (170-171)

Dans ce domaine aussi, les analyses ADN apportent évidemment de nouveaux développements. (171)

Comme l’explique Val McDERMID, le domaine de l’anthropologie médico-légale n’est pas « pour les chochottes » (181) :

« No group of scientists faces [the] stark reality [of crime] more than forensic anthropologists. Bloody wars and natural disasters are their front line; bringing home the dead is their vocation” / “Aucun groupe de scientifiques n’est autant confronté à l’implacable réalité du crime que les anthropologues médico-légaux. Les guerres sanglantes et les catastrophes naturelles sont leur champ de bataille ; ramener les morts à leur famille est leur vocation » (165)

Val McDERMID explique aussi comment les scientifiques sont amenés à développer de nouvelles techniques d’identification pour résoudre certains cas, comme cette histoire de viol par un père sur sa fille de 14 ans qui est identifié par le dessin de ses veines sur ses avant-bras sur une vidéo. Une technique présentée lors du procès du père, et qui, si elle n’aidera guère la victime (183-185), servira plus tard en 2009 à condamner un pédophile d’après une soixantaine de photos prises en Thaïlande et trouvées sur son ordinateur (affaire Dean Hardy) (185-186) et à démanteler un autre réseau pédophile en Ecosse (186).

A l’Université d’Etat de Louisiane, l’anthropologue Mary MANHEIM a monté une base de données de plus de 700 personnes disparues et se réjouit chaque fois qu’une identification peut être faite pour aider les vivants à faire leur deuil.(187)

Fouilles dans un charnier kosovar sous la protection de marines américains, en 1999 – © DoD photo by Sgt. Craig J. Shell, U.S. Marine Corps.
Le dessin de nos veines aussi unique qu’une empreinte digitale…
“The Bone Lady: Life as a Forensic Anthropologist”, livre témoignage de Mary H. MANHEIM.

9. La reconstruction faciale

Mais bien sûr, ce sont nos traits qui, pour ceux qui nous côtoient, nous identifient le mieux (190).

Utilisée lorsqu’aucune autre identification n’a pu être obtenue et que l’on souhaite faire un appel à témoins, la technique de la reconstruction cranio-faciale n’est pas à proprement parler une preuve médico-légale, mais un outil destiné à favoriser une identification médico-légale ultérieure. (199)

Déjà au 17ème siècle, le Sicilien Gaetano Giulio ZUMBO, passionné de sculpture et d’anatomie, modèle une tête d’écorché en cire sur un vrai crâne avec un résultat étonnant ! (196-197)

Au 19ème siècle, le procédé acquiert des bases scientifiques grâce notamment aux travaux du Suisse Wilhelm HIS (197), qui s’intéresse non seulement aux relations entre la forme complexe des os du crâne et la forme du visage, mais aussi à l’épaisseur des tissus mous qui le recouvrent, et procède à une première série de mesures sur une trentaine de corps.

Les Allemands Kollmann et Büchy affinent la méthode en 1899, en élargissant l’échantillon de référence (46 hommes et 99 femmes) et recréent le visage d’une femme du Néolithique (198). L’anthropologue russe Mikhail GERASIMOV développe « la méthode russe », basée sur le rôle des muscles, plus que sur l’épaisseur moyenne des tissus mous. Il est l’auteur en particulier de la reconstruction faciale du tsar Ivan le terrible (198).

Malgré ces bases scientifiques, la reconstruction faciale tri-dimensionnelle conserve une part de subjectivité. Si la profondeur des orbites ou la disposition des dents détermine en grande partie l’aspect des yeux et de la bouche, la reconstruction des oreilles et du nez, dont le cartilage se décompose après la mort, est plus problématique (199). A l’inverse, les informations obtenues par l’ADN permettent aujourd’hui de préciser la couleur des cheveux ou des yeux (200).

Actuellement, 80% des reconstructions faciales médico-légales se font sur ordinateur (205), à partir des scans 3D réalisés sur les restes osseux retrouvés. Les mêmes scans détaillant des blessures éventuelles peuvent être utilisés lors du procès.

La technique de reconstruction faciale s’utilise dans le domaine judiciaire, mais aussi pour des identifications à caractère historique. Ainsi Caroline WILKINSON, interviewée par Val McDERMID, a-t-elle eu l’occasion de travailler à la fois dans le cadre d’affaires criminelles (comme sur l’affaire Philomena Dunleavy en 2013) (200-202), et sur l’identification des ossements de Richard III, découverts sous un parking à Leicester en 2012 (208).

Les mêmes outils informatiques servent pour simuler le vieillissement dans le cas de personnes disparues… (205)

Portrait de Caroline Wilkinson, enseignante en reconstruction faciale à l’Université de Dundee, interviewée par Val McDERMID (Photo ©DR).
Cire anatomique de Gaetano Giulio Zumbo (1656 – 1701).
Reconstruction faciale de Richard III réalisée par Caroline Wilkinson en 2012.

La suite et la fin est à lire dans « Forensics : the Anatomy of Crime » par Val McDERMID (4/4) :

10/ l’investigation numérique légale
11/ le profilage criminel
12/ et enfin, le difficile exercice du témoignage des experts au tribunal.

 

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