Qui a tué l’homme-homard ? de J.M. ERRE…

Couverture du polar Qui a tué l'homme-homard ?

Qui a tué l’homme-homard ? de J.M. ERRE contient 2 ingrédients absolument irrésistibles : la bonne humeur/l’humour, de préférence cynique, et la réflexion sur le polar. Je ne le savais pas en l’achetant, lors du salon Paris-Polar 2019 ! Mais j’ai vraiment bien fait d’attendre pour lire ce méta-polar truculent…

À Margoujols, petit village lozérien où végètent les bêtes de foire d’un cirque roumain et leurs descendants, un crime est commis. Joseph Zimm, l’homme-homard, a été retrouvé découpé en morceaux. Si personne ne regrette son mauvais caractère légendaire (Note 1), la gendarmerie fait son travail et enquête. La fille du maire participe aux investigations, espérant pouvoir en tirer un polar.

Qui a tué l’homme-homard ? Une leçon de polar

À travers Julie la narratrice, J.M. ERRE revendique son goût pour le polar :

« Mes préférences vont aux romans policiers, aux thrillers, aux histoires gore. Il me faut du sang et de la tripe. Plus les autopsies sont détaillées, plus je me régale. Plus l’humour est noir, plus je savoure. » (78)

Et entend bien en donner sa « recette » :

« Un meurtre, un flic, un village plein de secrets, j’ai les ingrédients de base sous la main. Je vais mélanger de mon mieux et tant pis si ça fait des grumeaux. » (79)

Qui a tué l’Homme-homard ? parle esthétique du crime, esthétique du polar ! Il y est question de « problématiques littéraires » (233) et même de « cahier des charges » (234).

  • Mise en abyme et méta-polar

À l’enquête de l’adjudant Pascalini, qui se déroule et hésite sous nos yeux, se superpose l’analyse critique de notre apprentie-auteure. Du personnage principal au pseudo à préférer pour de meilleures ventes (194-195), l’auteur et son double partagent leurs recommandations :

  • Opter pour « un créneau original » (81). Avec son petit village du Gévaudan, son homme-homard et autres freaks, son enquêtrice atypique, J.M. ERRE donne certainement l’exemple !
  • Un polar féminin, voire féministe ? Quant à elle, Julie est « pour le droit des femmes à découper son prochain à l’égal des hommes. » (44). Par ailleurs, « Tout le monde est d’accord avec ce constat : on manque de tueuses dans le polar. […] Une meurtrière, une dépeceuse, une tortionnaire, une serial killeuse, ça nous changera un peu, non ? » 44
  • Une « énigme à résoudre » (233)
  • « De palpitantes péripéties » (79) qui « s’enchaînent à un rythme soutenu, en ménageant des surprises régulières » (234)
  • Une intensité croissante « jusqu’à la surprise de dernière page qui vous prend, vous retourne et vous donne le frisson » (187-188):

« Le twist final, c’est l’orgasme post-libération sexuelle  : tout le monde y a droit, chaque fois. » (187-188)

  • Et si le massacre de l’homme-homard n’était jamais solutionné ?

« Un auteur a-t-il déjà osé faire ça ? Je dois avouer que plus j’en parle, plus ça me fait envie.» (186)

  • Sur la forme : chapitres courts, indices, rebondissements, fausses pistes…

Divisé en jours et moments, le récit de Julie s’entrecoupe d’extraits du journal d’une serial killeuse qui signe Winona Jane : 7 épisodes de journal pour 7 jours d’enquête sur la mort de l’homme-homard au total. Ce personnage, mystérieux jusqu’à la page 292, partage aussi son point de vue esthétique et pratique sur le crime… Ainsi, le méta-polar prend soin de multiplier les points de vue.

Des indices sont semés, et parfois rappelés à notre attention, tout au long du récit. Julie propose quelques faux coupables, en désespoir de cause : Papa ? (186-187), le couple Beekman ? (270-271), Maman ? (288), l’homme-élastique ? (320), la bonne ? (334)…

La gendarmerie se heurte à de nombreux obstacles, parmi lesquels : l’influence des séries TV (113-115, 143-144, 218), d’internet (197-198) et des réseaux sociaux (219) :

« Le public aujourd’hui est nourri au petit-lait des séries télévisées. Elles ont amplifié nos exigences. Chacun se croit spécialiste de la chose policière. » (218)

Les rebondissements de fin de chapitre se font de plus en plus nombreux (Note 2). C’est le polar enseigné par l’exemple : Qui a tué l’Homme-homard ? est un véritable page-turner.

On tricote, puis on détricote un peu, on fait durer le plaisir… La recette classique du polar.

 

Qui a tué l’homme-homard ? De l’importance d’avoir un bon personnage

Dernière question analysée dans ce méta-polar, celle du personnage principal :

« Le polar, c’est le blablacar de la littérature. Vous embarquez dans une enquête comme dans un covoiturage, sans savoir si le pilote est un conducteur sympathique avec qui vous ne verrez pas passer le temps ou un laborieux papi grisâtre dans un tacot hors d’âge qui rendra votre voyage interminable et vous fera regretter la SNCF et les bons vieux romans de gare. C’est pourquoi tous les auteurs savent que la clé du succès, c’est la qualité du personnage de l’enquêteur. » (118)

Dès le départ, l’adjudant Pascalini semble ne pas complètement satisfaire aux critères élevés de notre narratrice (234). Ce qui se confirme lorsque l’enquêteur officiel dans l’affaire de l’homme-homard devient la 5ème victime du serial-killer (295) !

En définitive, le héros du livre n’est pas l’enquêteur, mais la narratrice. Et quelle narratrice !

Ce qu’on a tu jusque-là, en effet, c’est que la chroniqueuse de Qui a tué l’Homme-homard ? est lourdement handicapée. À sa naissance, 23 ans plus tôt, un accident l’a laissée tétraplégique (Note 3). Joueur, J.M. ERRE lui laisse seulement l’usage de son majeur (!), utilisé pour tracer des lettres en l’air et s’exprimer. Et un seul mot à son vocabulaire :

« Fffffffffffchiééééééééééé ! » (35)

Julie de Creyssels incarne donc, littéralement, ce « détective en fauteuil » bien connu de la littérature policière (81). Dotée du même fauteuil hi-tech que Stephen Hawking (merci Papa !), elle se déplace de façon autonome, se mêle aux villageois… Pas du genre à s’apitoyer sur son sort (57-59), « l’handitective » (247) s’identifie néanmoins aux monstres du cirque roumain (29).

Humour, réflexion littéraire et humaine, tout est parfaitement en place dans ce méta-polar truculent. Je recommande !

 

NOTES :

  1. Le personnage de l’homme-homard de J.M. ERRE est librement inspiré de l’Américain Grady STILES Jr., atteint d’ectrodactylie.
  2. Pour mémoire, la liste des multiples rebondissements de l’enquête : 157-159, 161, 171, 182, 194, 264, 265, 267, 272, 278, 288, 295, 306, 320, 342, 344-345, 346, 353.
  3. D’après l’auteur dans l’émission télé La Grande Librairie du 7 mars 2019 : le personnage de Julie est inspiré du livre « Le Scaphandre et le Papillon » de Jean-Dominique BAUBY, publié en 1997

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