London Spy, enquête sur une rencontre…

London Spy série

Un manifeste…

Bien que la série London Spy de Tom Rob SMITH, diffusée fin 2015 sur BBC2, s’affiche comme un thriller d’espionnage, elle reste beaucoup plus crédible en romance, voire en manifeste de la cause homosexuelle, – ou de l’identité en général, d’ailleurs.

Et bien que la série compte 5 épisodes de 60mn, nous ne saurions trop vous conseiller, pour ces mêmes raisons, de vous limiter aux seuls 3 premiers épisodes !

 

London Spy : what spy ?

Jeune homo mal fagoté, pickeur dans un entrepôt et vivant un peu au jour le jour, Daniel « Danny » Holt (interprété par Ben WHISHAW) est un rebelle et le sera vraisemblablement toute sa vie. Tôt le matin, alors qu’il sort de boîte dans un piteux état, il rencontre Alex (Edward HOLCROFT, si lisse et impassible qu’on le croirait sorti de « Real Humans »…) et tombe immédiatement amoureux.

Très lent et long, le premier épisode de London Spy est tout entier consacré à la rencontre et à la relation des deux garçons, dans l’ambiance « Fenêtre sur Cour » de l’appartement de Danny ou lors des longues marches à la campagne ou au bord de la mer qu’Alex, incompétent social de premier ordre, affectionne particulièrement. Dès ce premier épisode, la qualité de l’image et du montage de la série London Spy accroche. Sur une musique de fond malheureusement omniprésente et atroce (et je ne parle pas du « I feel love » de Jimmy SOMMERVILLE qui ouvre l’épisode !), beaucoup de gros plans des visages, des mains. Les images et les dialogues se télescopent, au point qu’il faut parfois regarder les lèvres des deux pour savoir qui parle et qui dit quoi. On débriefe la rencontre, on se raconte ses expériences les plus marquantes (Danny plutôt, puisque c’est la première fois pour Alex) et, preuve que la relation avance, Danny trouvera le temps de lui présenter son vieil amant Scottie (magnifique Jim BROADBENT dans ce rôle), vers lequel il se tourne dès qu’il a un problème.

Un jour, Alex ne répond plus et après 11 jours de silence, Danny est mystérieusement livré sur son lieu de travail des clés de l’appartement très chic d’Alex, où il finira par retrouver le corps de son ami, enfermé dans une malle dans un donjon SM secret… Interrogé par la police (ou, il semblerait, par les renseignements), Danny se rend compte qu’il ne savait rien d’Alex, même pas son nom de famille ou son vrai prénom.

En plus du deuil, Danny se retrouve avec une énigme à résoudre : Qui était Alex ? Qui l’a tué et pourquoi ? Etait-il ce génie solitaire qu’il lui a décrit, entré à la fac à 15 ans, sans famille et travaillant pour une banque d’investissements (ep.1) ou un espion menteur adepte du SM, comme on cherche à le lui faire croire ?

Ben Whishaw dans la série London Spy
La rencontre sur un pont – Le Pont des Espions ? – de Danny et de son bel espion Alex… (London Spy, ép.1)

Même parsemé très régulièrement d’indices destinés à soutenir l’intérêt en installant le thème de l’espionnage et la théorie du complot (par exemple : les clés de l’appartement d’Alex livrées à Danny sur son lieu de travail, son propre appartement fouillé et saccagé, la découverte fortuite du cylindre à code façon Cryptex (1) qu’il a la présence d’avaler juste avant l’arrivée de la police, les billets de train envoyés à Danny par les parents d’Alex qu’il croyait morts (ép.2), la rencontre sur le port et le mystérieux bonbon rouge (ep.2), le téléphone qui le téléguide dans la soi-disant découverte du passé d’Alex (ép.3-4), etc…etc…), London Spy ne parvient pas à nous emmener au-delà du 3ème épisode, au moment où il faut bien, puisqu’il n’y en a que 5, commencer à mettre quelque chose sur la table et avancer ses pions.

Présentées par son binôme d’université, un certain Marcus, les recherches du génial London Spy, si dérangeantes que les plus hautes autorités de l’état ont préféré le faire taire (soit, le programme contenu sur la clé codée) sont tout à fait ridicules (ép.4), les révélations sur ses origines (ép.5), – malgré Charlotte RAMPLING -, inutiles et ennuyeuses, sans parler de l’image de fin. Mais la série nous a déjà perdus depuis longtemps !

Non, la (seule) vérité – et la beauté – de London Spy est ailleurs et tant pis pour moi qui me suis laissée berner par son titre et emporter par toutes les critiques dithyrambiques lues ici et ailleurs et qui ne faisaient pas le détail !…

 

« What is your real name ? » : le manifeste de London Spy

 

Après la mort d’Alex (et les révélations qui l’entourent), Danny culpabilise et se pose mille questions :

  • Que sait-on ou que devrait-on savoir sur les gens ?
  • Qui détient la vérité sur une personne ? La police, sa mère ou toi qui étais son amant et qui l’aimais ?
  • Au début de l’ép 3, la police fait une descente chez Danny et l’embarque de force, lui faisant ensuite subir tous les examens possibles : photographié (façon mugshot), empreintisé, adn-isé, blood-sample-isé, parviendront-ils à savoir tout de lui ?
  • Ce troisième épisode de London Spy est intéressant, car les questions de l’enquêteur lors de l’interrogatoire sont orientées uniquement sur ses expériences plus ou moins hasardeuses – et par définition « hors norme » – dans le domaine du sexe. A-t-il déjà expérimenté l’asphyxie érotique ? Jusqu’où est-il allé ? S’est-il déjà évanoui en prenant trop d’ecstasy ? Quelle était sa dose habituelle ?… Si le but ultime de ces questions est de valider les preuves physiques retrouvées dans le donjon de manière à pouvoir lui mettre sur le dos le meurtre d’Alex, elles amènent Danny à s’interroger sur son histoire sexuelle qui fait de lui ce qu’il est aujourd’hui… Mais ses pratiques suffisent-elles à le définir ? Ce que sont les homosexuels se résume-t-il à ça ?
  • « All the stupid things I’ve done ! » (en tant qu’homo, comprendre) (ep.3), se lamente Danny. On note au passage que sa coloc’, fille et hétéro, n’est pas plus sage que lui, expérimentant dans l’appartement du côté de l’alcool et de la drogue. Il faut bien faire ses expériences…
  • Dans l’ép.3 de London Spy apparaît le personnage de Rich (Mark GATISS (2)), riche producteur de disques, chez qui Danny se souvient avoir expérimenté crack, partouzes et sexe sans protection. Cet épisode et le médicament anti SIDA identifié par la coloc enverront Danny faire un nouveau test HIV, – car cela aussi définit sans aucun doute l’identité d’un homosexuel.
London Spy : Danny (Ben Wishaw) dans la salle d'attente pour un test HIV
Danny (Ben Whishaw) dans la salle d’attente pour un dépistage HIV… ou par où il faut en passer pour accéder à sa propre sexualité… (London Spy, ép.3)

Dans l’équipe constituée autour de lui par Danny pour tenter de faire éclater au grand jour la vérité (Alex a été assassiné), il y a 3 personnages (en dehors de lui-même) qui chacun nous racontent quelque chose sur l’histoire ou l’identité homosexuelle :

  • Scottie (Jim BROADBENT) :

Ancien espion recruté sur les rangs de Cambridge (sans que cela ait en rien à voir avec l’histoire), il a vécu la chasse aux homosexuels dans l’administration (« c’était illégal, à l’époque », explique-t-il au très jeune Danny). Pour survivre, il a dû se cacher, faire semblant et mettre une croix sur ce qu’il était pendant 11 ans.

Il a aussi vécu les débuts du SIDA, quand la maladie n’avait pas encore de nom et que les homosexuels n’avaient aucun moyen d’information. Et si Scottie a appris quelque chose au cours de longue vie, c’est qu’ « on ne peut pas vivre dans la peur » (ép.4). Il dit qu’il faut se battre, même si on doit perdre. Se battre et souffrir d’abord, se battre seul contre tous (c’est sans doute le sens de la blague du gentleman sur les agences de renseignements toutes d’accord – pour une fois – sur la version officielle à donner de la mort d’Alex).

Pourtant l’épisode 4 de London Spy se termine par le suicide de Scottie, premier de la petite équipe à quitter le navire. Rechute de son ancienne dépression ? Il semblerait au contraire que c’est l’accomplissement de sa vie : la veille, Danny, qui a beaucoup appris de ses épreuves, lui a fait une déclaration : « Oh, et puisque je ne te l’ai jamais dit avant : Je t’aime. Je t’aime vraiment. »

Le personnage de Scottie avec ses yeux clairs et tristes, est certainement le plus émouvant de London Spy, et Jim BROADBENT son meilleur interprète.

London Spy : Scottie, interprété Jim Broadbent
D’une génération précédente, Scottie a vécu la chasse aux homosexuels dans l’administration et le début du SIDA, quand la maladie n’avait pas encore de nom… (London Spy, ep.3)
  • Claire (Harriet WALTER) :

Devenue la Doyenne de Cambridge, Claire a joué le rôle de couverture pour Scottie dès l’université, emménageant avec lui et jouant le rôle de sa petite amie (Ep.4). Elle est la première à qui Scottie ait avoué son homosexualité. « Vous êtes gay ? », lui demande Danny. Elle dit : « Non. – Vous voyiez d’autres gens ? – Non. »

 

  • Marcus (Adrian LESTER) :

Binôme d’Alex à la fac, Marcus (contacté par Danny via l’entremise de Claire pour identifier la portée du programme inventé par Alex) rejette tout romantisme et met en avant la mission qui incombait à ce génie des maths de « changer le monde » (et pas son petit monde à lui, Danny), à l’exclusion de toute autre. Il se moque de Danny en parlant de la relation qu’il avait avec Alex comme de : « Love without knowledge » (l’amour en toute ignorance)… Là encore, comment définit-on quelqu’un ? Par son esprit, ses talents exceptionnels, les accomplissements de sa vie ou… ? (Ep.4)

Avec une grande cruauté, Marcus juge Danny et la relation qu’il avait avec Alex : « Qu’est-ce que tu peux me dire de lui : combien il prenait de sucres dans son thé ? la manière dont il aimait être baisé ? » Et il conclut : « Are these the details that define us ? » / Est-ce que c’est ce genre de détails qui nous définit ? (Ep.4)

C’est sans aucun doute l’une des phrases-clé de la série London Spy

London Spy : une histoire d'amour
Dans un enterrement symbolique, comme s’il était au bord du Gange, Danny rejette à la mer les cendres de ses propres souvenirs d’Alex (London Spy, ép.4) –

Etre un London Spy, – un espion -, c’est vivre – ou peut-être être obligé de vivre – une double vie : celle d’un homosexuel, en plus de la vie de tout être humain.

Certaines séries vous donnent l’impression qu’elles auraient dû être un film (exemple : « Top of the Lake », de Jane CAMPION), d’autres, qu’elles n’auraient jamais dû dépasser l’étape du pitch (!). Pour London Spy, c’est autre chose. En tant que série d’espionnage, c’est clairement un raté, voire une arnaque (pour de bons motifs), mais surtout, par son thème et son côté cru, on a du mal à la voir comme une série de télévision. On l’imaginerait plutôt – encore – comme une série underground plus ou moins confidentielle et distribuée sur le net (elle a été diffusée sur BBC2 au Royaume-Uni et sur BBC America aux Etats-Unis).

Finalement, et malgré tous ses défauts, le fait que London Spy réussit ainsi – notamment par son casting – à toucher un plus grand public est peut-être une réussite ?

Foutu prétexte que l’espionnage pour une importante réflexion… J’ai adoré le coup de théâtre malin que je n’avais pas vu venir un peu avant la fin de l’ép.5, mais ça ne suffit quand même pas à en faire un thriller et plus que 5 longues heures d’une série bancale et qui cache son jeu.

Avez-vous vu London Spy ? Etes-vous tenté ?

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NOTES :

  1. Le « Cryptex » est une invention de Dan BROWN dans le « Da Vinci Code ». Ici, il s’agit d’une clé USB protégée par un code.
  2. Mark GATISS, acteur et scénariste de « The League of Gentlemen », “Doctor Who” & “Sherlock” est un militant actif de la cause gay. Il est consacré en 2010 comme la 38e personne homosexuelle la plus influente au Royaume-Uni , selon le quotidien britannique « The Independant ». Sur la question de l’identité homosexuelle, on lira avec intérêt le récent interview de GATISS par Daniel MARTIN du magazine Gay Times.

4 thoughts on “London Spy, enquête sur une rencontre…

  1. Spoilers dit:

    Je suis actuellement en train de la regarder (j’ai vu les deux premier). Je ne m’attendais pas du tout à ça et je peine à continuer…. Ton article me motive encore moins…

  2. potzina dit:

    Je ne l’ai pas vu mais j’étais bien tentée parce que… Ben Whishaw, tu vois ?! Là tout à coup, je me sens un peu refroidie. Bon, je pense que je la regarderai quand même pour le petit Ben 😉

    • admin dit:

      Oui, oui, je vois bien… Mais tu peux la regarder pour Ben et pour le « serious talk » derrière… au moins jusqu’au 3ème épisode ! Merci d’être passée, ça faisait longtemps ! 🙂

      • admin dit:

        C’est vrai que le titre est trompeur et que, parfois, on a carrément l’impression de s’être trompé de chaîne ! La bonne nouvelle, c’est que tu peux vraiment t’arrêter à la fin du 3ème épisode, le pire étant à venir ! 😉

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