La Femme en Vert, d’Arnaldur INDRIDASON…

La Femme en Vert d'Arnaldur Indridason : couverture du livre

Quatrième roman de la série Erlendur, La Femme en Vert d’Arnaldur INDRIDASON parait en 2001 en Islande. Il est traduit en français en 2006. Dans ce polar, un bout d’os découvert par un enfant mène la police criminelle de Reykjavik jusqu’à un cadavre vieux de 50 à 70 ans. Enfoui dans les fondations d’une maison du nouveau quartier de Thüsold (22), le squelette est confié à des archéologues.

C’est que, curieusement, Erlendur semble décidé à prendre son temps avec cette nouvelle enquête (29)… C’est aussi bien, puisqu’encore sur le chantier, il reçoit par téléphone un appel au secours de sa fille… L’ensemble du livre se passe sur ces 3 temps : le temps présent de l’enquête, celui passé des faits et le temps suspendu d’Eva Lind, dans le coma.

Dans La Femme en Vert, Arnaldur INDRIDASON décrit le mécanisme de la violence conjugale. Poussé à l’introspection par les circonstances, son personnage revient sur sa rencontre  avec Halldora, évoquée dans Les Nuits de Reykjavik. Il analyse la façon dont il s’est laissé embringuer dans cette vie de famille qui ne lui convenait pas. Bref, Erlendur se dévoile plus que dans aucun autre opus de la série.

 

Arnaldur INDRIDASON, archéologue de la douleur

Très concentré, intensément introspectif, La Femme en Vert met en scène un grand nombre de situations parallèles. La première étant sans doute ce cadavre allongé sous des mètres de terre et le corps d’Eva Lind enfoncé dans le coma…

  • Histoires en miroir

A la recherche d’Eva Lind dans les bas-fonds de Reykjavik, Erlendur croise deux fois la même situation : une femme droguée, abusée, et son enfant en bas âge affamé et livré à lui-même, quand il n’est pas maltraité….

Façon fausse piste, l’auteur s’attarde aussi sur l’histoire de l’ancien propriétaire des lieux, Benjamin Knudsen, et de sa fiancée disparue. Elle aussi, on le découvre dans La Femme en Vert, a subi la violence masculine : violée et enceinte, elle se serait suicidée. Erlendur puis Sigurdur Oli tombent sur les sublimes lettres d’amour du couple (116) et chacun à son tour s’interroge :

« Cette femme avait-elle, à quelque moment que ce soit, été sa bien-aimée ? », rêvasse Erlendur évoquant Halldora (120).

Pressé de se marier par Bergthora, Sigurdur Oli n’en voit pas l’utilité, mais reste fasciné par les lettres :

« Tout cet amour, se demanda Sigurdur Oli. Etait-il capable d’aller jusqu’au meurtre ? » (159)

  • Erlendur et ses fantômes

Dans la tentative de localiser Eva Lind, Erlendur  appelle son fils Sindri Snaer, puis son ex-femme Halldora (40). Il se retrouve même face à cette dernière à l’hôpital, après 20 ans ! (251-252).

Quand Erlendur ne les invoque pas volontairement, ses fantômes se manifestent à lui d’eux-mêmes dans La Femme en Vert. Ainsi la médium rencontrée à l’hôpital, qui lui parle de son frère disparu dans une tempête de neige (210-211). 80 pages plus tard, Erlendur ne sait plus vraiment si elle appartient « au domaine du réel ou bien à celui du rêve. » (290).

Obnubilé par l’état d’Eva Lind, Erlendur se rémémore leurs dialogues depuis le premier, lorsqu’adolescente elle avait renoué avec son père. Indridason les retranscrit tels quels et ils résonnent  avec une force particulière (122-123).

  • La violence en héritage

Dans La Femme en Vert, les histoires se répondent également de génération en génération.

L’auteur l’insinue à la moitié du livre (190-191) et Elinbord se le fait confirmer à la fin : le père de la mystérieuse famille sur laquelle ils enquêtent était non seulement violent, mais incestueux (343). Elevé dans une ferme par une famille d’accueil, il a sans doute subi le même sort, enfant (282-283). À son tour, Tomas, son plus jeune fils, est devenu un père abusif, rapporte sa demi-sœur aînée Mikkelina (343).

À l’inverse, c’est parce qu’il a vu sa mère subir la violence de son père que Dave comprend instantanément la situation (285). Une fois de plus dans La Femme en Vert, c’est le récit final de Mikkelina qui comble les blancs.

Benjamin et Solveig, Bara et son mari, Elsa qui vit seule, la mère et sa famille… Par sa description de différentes histoires de couples et de familles, on voit qu’Arnaldur INDRIDASON s’intéresse à tout ce qui fait l’humanité. À la manière des polars scandinaves, la description est froide, exhaustive et sans jugement.

Et le crime, là-dedans ? Il fait juste partie de la vie et parfois même il est inéluctable :

« Il n’y avait pas d’autre solution », commente Simon, le cadet de la famille (338).

Dans ce roman, une femme en vert peut en cacher une autre. Solveig, la fiancée disparue de Benjamin Knudsen avait un manteau vert, croit se souvenir sa sœur Bara (179). La Femme en Vert n’est pas la mère, personnage central du roman, mais sa fille aînée qui, à sa manière, hante les lieux.

  • Erlendur le solitaire

Un médecin a recommandé à Erlendur de parler à sa fille dans le coma (90). Et Erlendur lui raconte tout, des progrès de l’enquête (205) aux raisons de son mal-être : la dramatique disparition de son frère Bergur quand  il n’avait que 10 ans (290).

Erlendur compare sa fille à ce jeune frère qu’il se sent coupable d’avoir abandonné dans la neige (291-292)…

Dans La Femme en Vert, Erlendur s’étend sur la culpabilité, la tristesse et la solitude qui sont ensuite devenues son lot. Lui qui, à chaque fois qu’il s’endort, se rêve pris dans une tempête et se prépare à mourir… Un motif récurrent dans la série Erlendur (255-256).

« Plongé dans ses pensées, il ressentit le profond silence qui régnait dans sa vie. Ressentit la solitude qui le cernait de toutes parts. Le poids des jours fades formant une chaîne que nul ne pouvait briser et qui s’enroulait autour de lui, l’opprimait et l’étouffait. » (81-82)

Il explique  son choix du silence (119), de la souffrance (255-256) et du deuil permanent :

« J’avais dix ans à ce moment-là et je m’en suis toujours voulu. Je ne m’en suis jamais libéré. Je refuse de m’en libérer. La souffrance a bâti comme une forteresse autour de ce deuil que je ne veux pas oublier. » (292)

Et ce sont autant de traits, sombres et qui n’appartiennent qu’à lui dans la littérature, que l’auteur ajoute au portrait d’Erlendur. De ce point de vue, La Femme en Vert est un roman vraiment à part à l’intérieur de la série.

Si Erlendur veut dire « étranger » en islandais (49), c’est à lui-même et à sa part d’humanité qu’Erlendur est devenu étranger suite à la perte de son frère.

 

La Femme en Vert ou le mécanisme de la violence conjugale

 

Dans La Femme en Vert, Arnaldur INDRIDASON démonte point par point le mécanisme de la violence conjugale, sans oublier d’inclure :

  • la lâcheté de l’Eglise (58),
  • le sexisme des flics (59),
  • tous ceux qui savaient et n’ont rien dit (170, 213).

« Une violence quotidienne et organisée, aussi bien psychologique que physique », explique Hunter, un ancien soldat américain qui avait côtoyé la famille (218).

Cette analyse minutieuse de la psychologie de l’homme violent et de la femme battue fera date dans la littérature. Du premier coup (14) qui laisse la femme incrédule (20) à la honte (66), aux pensées suicidaires (304), en passant par toutes les tentatives de justification, le constat est sans appel. À travers Mikkelina, Arnaldur INDRIDASON n’hésite pas à parler de « l’assassinat d’une âme » (277) :

Erlendur : « Je crois que j’étais en train de vous poser une question sur ces violences conjugales. » Mikkelina : « Voilà un mot bien édulcoré pour décrire l’assassinat d’une âme. Un terme politiquement correct à l’usage des gens qui ne savent pas ce qui se cache derrière. Vous savez ce que c’est, de vivre constamment dans la terreur ? » (277)

Toutes les scènes de violences conjugales décrites dans le livre – et elles sont nombreuses – sont extrêmement dures et marquantes.

Comme si elle avait, dans ce processus, perdu toute humanité, il faudra attendre la toute fin du livre pour connaître le prénom de « la mère » :

« Elle s’appelait Margaret. », répond son fils Simon à Erlendur, comme s’il lisait une épitaphe (347).

 

Erlendur, l’enquêteur

 

Dans La Femme en Vert, on en découvre un peu plus sur les talents d’enquêteur du commissaire Erlendur.

Archéologue à sa manière, il maîtrise la « big picture » au-delà du ruban de scène de crime (25). Il prend en compte tous les indices, même insignifiants. Ainsi ce groupe de 3 groseillers en plein no man’s land (30), qui révèle la présence d’une habitation, avant (70).

Comme Brenda Leigh Johnson dans la série américaine The Closer, Erlendur lance les investigations tous azimuts dans La Femme en Vert :

« Il veut que nous interrogions tous les gens qui possèdent une maison d’été en partant du lac de Reynisvatn et en descendant la colline, ainsi que leurs grands-mères, ensuite j’irai voir un médium pour interroger Churchill », commente Elinborg avec humour (78).

Il distribue les tâches à la volée à ses équipiers. Ces derniers sont d’ailleurs plus ou moins ravis et convaincus par ses méthodes, comme Sigurdur Oli qui manifeste (234-235, 287). Erlendur le cantonnera à la fouille d’une cave et emmènera Elinbord, plus fine et diplomate, partout avec lui.

« Il est faux de croire que personne ne sait rien, dit Erlendur. Il y a toujours quelqu’un qui sait quelque chose. » (78)

En fait, Erlendur les fait travailler dans des directions qu’ils ne comprennent pas ou auraient sans doute négligées. Celles-là même qui lui permettent généralement de résoudre non pas une affaire, mais une affaire plus un cold case. C’est le schéma de la série ! Loin des conclusions hâtives (315, 318), c’est le dernier à tenter de faire rentrer « l’homme violent » dans l’image (317).

Comme « Miss Atlanta » (*), Erlendur se montre un sacré meneur d’hommes : rappelant sans cesse les pistes à suivre et réchauffant les ardeurs (80).

 

Pour conclure…

 

Un peu lente et suspendue, l’enquête de La Femme en Vert diffère un peu des enquêtes habituelles d’Erlendur. Elle commence comme une énigme à trous dans la bouche hésitante du vieux Robert (99-100). Le hasard, merveilleusement mis à contribution grâce à la présence d’esprit d’Erlendur (258-259) joue aussi un rôle dans sa résolution. Et c’est le récit de Mikkelina qui comble les blancs restants dans les dernières pages du roman.

« Il était largement temps […] que tout cela soit découvert. », note cette apparition, comme revenue du passé (275).

Comme d’habitude chez Arnaldur INDRIDASON, le passage continu du présent au passé est très bien mené. Le livre se termine sur le réveil d’Eva Lind (348), qui semble verser une larme sur cette triste histoire.

L’auteur semble inviter toutes les femmes s’envelopper d’un manteau vert, signe d’espoir…

 

Avez-vous lu La Femme en Vert ? Est-ce votre Arnaldur INDRIDASON préféré ?

 

NOTES :
(*) « Miss Atlanta » est le surnom donné par ses collègues à Brenda Leigh Johnson, lors de son arrivée au L.A.P.D.

 

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