On ne meurt pas la bouche pleine, le polar de Thierry MARX et Odile BOUHIER…

Couverture Polar de Thierry MARX

Le goût du sang dans la bouche (15), 3 doigts de la main droite coupés au sabre (18), la fuite éperdue d’une femme dans un « paysage désert fouetté par le vent » (16) pour finalement retomber dans la gueule du loup (17), On ne meurt pas la bouche pleine, le premier polar de Thierry MARX coécrit avec Odile BOUHIER et sorti fin 2017, commence très fort ! Encore n’est-ce que le prologue !

Que le chef Thierry MARX, touche-à-tout de génie, hyperactif au bon sens du terme, engagé et toujours « en rupture », comme il aime le dire (Voir Notes 1 et 2), s’intéresse à l’écriture et au polar qui plus est, était en soi aussi inattendu que réjouissant pour les amateurs du genre que nous sommes. De quoi parlerait le polar de Thierry MARX ?  Quelles seraient ses recettes, ses faiblesses, ses tics et à l’inverse ses points forts, ses vrais moments d’invention et de personnalité ?

J’étais très curieuse de découvrir ce que le polar de Thierry MARX et Odile BOUHIER donnerait et je suis très satisfaite de dire que c’est… du « très très bon ! », comme dirait le critique gastronomique François-Régis GAUDRY ! Je vous explique pourquoi…

 

Les ficelles tradi du polar de Thierry MARX

Chic de la première à la dernière page, ce n’est pas l’enquête de n’importe quel flic que nous invite à suivre On ne meurt pas la bouche pleine, le polar de Thierry MARX et Odile BOUHIER. C’est évidemment celle d’un flic de la Crim’, la célèbre brigade criminelle de Paris, juste avant son déménagement ! Depuis 36 ans au 36 (!), Achille Simmeo est un « un enquêteur hors pair » (162), de la catégorie « des fins limiers » (163). Jamais vraiment remis de la mort de sa femme, assassinée par un SK, il a heureusement su garder de précieux alliés dans et hors la Maison : Fabrizio, l’ambulancier du SAMU (50), Christian, un collègue du 3ème district (81), Marius, un chimiste de l’IRCGN qui « ne rechignait jamais à filer quelques coups de main techniques au commandant du 36 » (84) ou encore Sophie Barbier, dite Soso, de la BRB, qui fournira Simmeo de tous les topos utiles sur le Japon, l’organisation des Yakuzas ou les bios de ses figures les plus importantes.(99)

A la limite de la caricature ou du moins atypique, le flic parisien du polar de Thierry MARX est fin gastronome (24, 98) et amateur d’art (il fréquente Drouot) (25-32). Des goûts de luxe qu’il va bientôt pouvoir satisfaire, puisqu’il vient d’hériter bien malgré lui de son père biologique… (66, 126-130)

Au moment même où son sixième sens de flic se réveille (83), le mettant sur la piste de plusieurs morts en apparence naturelles, à Paris et à Tokyo, Simmeo acquiert « la certitude que cette épineuse enquête [sera] sa dernière ». (150) Pour s’y consacrer à plein temps, il se met en disponibilité et s’envole pour Tokyo : « 12 heures de vol sans escale, plus de dix mille kilomètres. » (175) On est, avec lui, plus que motivés…

  • La recette du polar de Thierry MARX : « Trop de coïncidences »

Dommage qu’il faille autant de coïncidences – je sais, les flics n’y croient jamais ! – dans le polar de Thierry MARX et Odile BOUHIER pour lancer l’enquête proprement dite. A Paris, c’est le vieux couple de Japonais repéré à Drouot le matin même (32), puis à nouveau la femme dans un palace où le menait une autre enquête (49-52), qui s’éteint mystérieusement, lui dans un accident de voiture (82-83), elle d’un cancer foudroyant (69-70) qui lui fait prendre « 20 ans en quelques heures » (92). Il s’agit de la fille et du gendre de l’Oyabun Naoko Santoka (35), « patron de la pègre tokyoïte » (74). A Iga et Tokyo, ce sont deux autres yakuzas dans son entourage proche qui disparaissent, d’infarctus ou par suicide se pensant condamné. Un cinquième, – l’incroyable Sanzo Okanabe appelé à succéder au patriarche -, ne se sent pas beaucoup mieux…

L’enquête parisienne de Simmeo lui révèle qu’ils ont tous récemment dîné dans un restaurant de Saint-Germain-des-Prés : « L’échoppe qui danse toute seule, étoilé ultraconfidentiel d’un maître de l’art culinaire. » (178) Adepte de la cuisine moléculaire également implanté à Tokyo, le chef est-il à l’origine de ces multiples empoisonnements indétectables à l’autopsie (151) ? Simmeo va pouvoir le vérifier, puisque c’est « un des disciples du chef Eliott Principal » qui signe le menu proposé dans l’avion (176) et que sa collègue Sophie lui a justement dégotté une invitation à l’Ambassade de France de Tokyo pour un dîner-démo où le grand Chef officiera (172).

« Trop de coïncidences. », note Simmeo intrigué. (146) On ne lui fait pas dire…

  • La recette du polar de Thierry MARX: parallèles en série

Un peu gênants aussi pour la compréhension et la fixation des idées, car assez systématiques, les parallèles dessinés entre situations et personnages dans le polar de Thierry MARX :

  • Ainsi, Simmeo est veuf, comme le chef yakuza Naoko Santoka
  • Simmeo a lui aussi, par son père adoptif, des origines mafieuses (corses) (105) et sa mère a été assassinée à la place de son père lors d’un règlement de compte (145), comme la femme de l’Oyabun (226)
  • Les Santoka ont eu 2 filles, l’aînée Akiko morte peu après sa mère, enlevée avec son mari et leur fille. (237) Pendant le séjour de Simmeo à Tokyo, la fille d’un avocat est enlevée, qui a une sœur jumelle (244). L’épisode n’ajoute d’ailleurs pas grand-chose au polar de Thierry MARX et Odile BOUHIER.
  • L’organisation d’une brigade de restaurant est comparée à celle d’une brigade de police (179), la cuisine au travail d’enquête : « Ce qui compte le plus en cuisine, c’est l’observation et la détermination, énonça Simmeo. […] C’est exactement la même chose pour un policier… » (325)
  • La recette du polar de Thierry MARX: une forme qui n’enferme pas

Par ailleurs, l’alternance stricte Tokyo/Paris de la première partie – comme les têtes de chapitre informatives sur les yakuzas (73, 87,100-104) ou l’esprit du Judo (232) – sont parfaitement en place et rendent la lecture du polar de Thierry MARX et Odile BOUHIER fluide et agréable, jamais répétitive ni attendue.

Elle est remplacée dans la seconde partie du roman par la succession de pages écrites en majuscules (les topos de Soso ? de la poésie ?), l’évocation du passé des personnages et le présent de l’enquête à Tokyo. Un ton beaucoup plus adapté – et même parfois complètement barré ! – quand on aborde le cœur et l’originalité du premier polar de Thierry MARX : l’arme du crime telle que Thierry MARX l’a inventée et la cuisine en général, la découverte de Tokyo et du monde des Yakuzas, la présence du passé et la magie des rencontres…

 

On ne meurt pas la bouche pleine : autoportrait de Thierry Marx en assassin subtil…

Car finalement, le polar de Thierry MARX reprend exactement là où les autres se sont arrêtés : la mise au point du crime parfait, comme dans Columbo ou HTGAWM

  • La cuisine moléculaire, nouvelle arme du crime parfait

Dans ce polar, Thierry MARX nous invente – « invente ? », du moins je l’espère ! – une arme subtile et indétectable pour se débarrasser de ses ennemis sans laisser de trace. Basé sur la concentration des molécules actives de certaines plantes comme l’if (106) ou des becquerels contenus dans les champignons depuis Tchernobyl et Fukushima… (85), le procédé décrit dans le polar de Thierry MARX est couplé au principe de la synergie des aliments (151) et à la gastronomie moléculaire, en particulier la technique de la sphérification (Voir Note 3) :

Marius : « Imaginons que l’un de ces spécialistes ait encapsulé les molécules. Inodores lorsqu’elles éclatent en bouche, ni vu ni connu… C’est le crime parfait pour empoisonner sans trace. »
Le policier blêmit.
Simmeo : « Tu veux dire que quelqu’un aurait trait une plante d’if pour en extraire un concentré de paclitaxel, puis l’aurait encapsulé pour le rendre mangeable, à défaut de comestible, et insoupçonnable à l’autopsie ? » 
[…] « Préméditation, conclut le policier.»
(153-154)

C’est à ce genre de répartie qu’on reconnaît un policier… et le polar de Thierry MARX sonne juste !

  • La recette du polar de Thierry MARX : l’amour et  l’amour de la cuisine…

« Concentration, humilité, maîtrise du geste, répétition et précision » (189), Thierry MARX utilise toutes ses connaissances en gastronomie moléculaire pour nous concocter le crime parfait ou, à défaut, le polar parfait, à la fois singulier, passionné, exotique et curieusement (furieusement) poétique…

On ne se remet pas de sa description du « Kaiseki », ici des légumes fumés enfermés dans des pierres, cuisiné par la fille du Chef Suzanne Principal, – une Eurasienne «  sublime » aux yeux vairons (158-159) –  pour les invités de l’Ambassade. Ou alors, peut-être, en réservant de suite une dégustation « sur mesure » dans l’un des restaurants du chef Thierry MARX ?

« L’apparition magique de gros cailloux devant les convives fit retomber le silence sur l’assemblée. L’armée de serveurs s’était placée dans la plus grande discrétion à chaque table et entreprit, une fois le recueillement total obtenu, d’ouvrir en deux les pierres sous les regards médusés de l’assistance. Des nuages de vapeur s’échappèrent des rocs brisés et le parfum troublant de légumes fumés tourbillonna. Si la surprise s’afficha sur la plupart des visages et que les murmures enchantés s’élevèrent sans tarder, Achille de son côté dut clore ses paupières pour pouvoir cacher son trouble. Le fumet l’avait presque choqué : il s’était senti transporté en une microseconde dans son passé, devant la cheminée de cette maison corse qu’il n’avait jamais aimée […]. Dès la première bouchée, la vision de la cheminée disparut, remplacée par une émotion sans visage. Ce n’était pas un plat joyeux, mais il était aussi puissamment savoureux qu’il était nostalgique. Les légumes fumés de Suzanne Principal (Achille aurait bien été incapable de dire de quoi il s’agissait, tant l’énoncé du menu – « Kaiseki, le cœur de la pierre chaude » – était sibyllin) lui firent monter les larmes aux yeux. Il ressentait l’impalpable nostalgie que la cuisinière avait dû revivre en enfermant ses ingrédients dans ces caveaux miniature. » (210-211)

« Apparition magique », « recueillement total », « murmures enchantés », « trouble », tels sont les mots qui en accompagnent la dégustation, dans le polar de Thierry MARX. (210-211)

Au détour de son intrique, en évoquant la rencontre du chef Eliott Principal avec sa future femme Akiko, des années auparavant (206-207), Thierry MARX nous initie à la sublime poésie d’un menu gastronomique :

« La lecture de la carte était, en soi, un événement poétique. […] Les intitulés des plats étaient chargés d’explosifs, de mystère, d’alliances impromptues et troublantes : cerné par un insolite semi-pris de coquillage, un pressé d’anguille fumée au foie gras.
Puis oursin et caviar dans leur chantilly de wasabi.
Risotto de soja et amadai (un poisson que Simmeo n’avait jamais mangé).
Suc de carotte à l’orange amère, quartiers de betterave rouge, truffe noire piquée au vif donnaient du coffre à ce menu. Le sommelier proposait des grands crus en accord avec les mets pour sublimer les produits. »
(200).

Le chef parle aussi de « tourbillon initiatique » (200), avant de conclure :

« La cuisine est une arme de destruction lascive. » (201)

Se lisant parfois comme un manifeste pour sa propre cuisine (214, 216-219), le polar de Thierry MARX a tous les ingrédients du polar et d’autres encore, provenant de la cuisine du chef, qui permettront sans doute à ses admirateurs de mieux comprendre sa cuisine.

  • La recette du polar de Thierry MARX : l’amour du Japon…

Les descriptions de plats, étonnants, inconnus, ajoutent à la poésie de l’écriture dans la seconde partie du roman. Et c’est autant une initiation au Japon qu’une initiation à la cuisine.

Arrivé à Tokyo, Simmeo ne dort plus et ne ressent aucune fatigue. (223) A sa suite, on visite le musée du Samouraï, dans le quartier chaud de Shinjuku (256) et on décide de rentrer à l’hôtel à pied, en errant « au hasard dans les rues de Tokyo », jusqu’à l’épuisement (268) :

« Cette ville le fascinait. Ici, gratte-ciel lumineux et énergiques côtoyaient baraques d’un autre siècle. L’espace insulaire, revisité en hauteur, battait la démesure ; lors des tremblements de terre, on pouvait observer l’écume des tours, la vibration d’une souffrance, puis le silence. » (277)

Après la libération de Gin, la fille de l’avocat, le commandant français et son homologue japonais Donan se lancent dans une tournée des bars dont ils ne sortiront qu’à 4h du matin pour assister à la criée aux poissons de Tsukiji (308-309) et manger des filets de fugu grillé avec un dernier verre de saké (310). On est à la veille du retour en France du policier et :

« Simmeo n’avait pas envie de rentrer à Paris, tant  il se sentait en paix à Tokyo, sa nouvelle patrie. » (321)

Un polar qui nous fait voyager, rêver, saliver, que demander de mieux ?

  • En toute humilité…

Si Simmeo le flic a certains traits de Thierry MARX, c’est évidemment le chef cuisinier de l’histoire dans lequel il s’incarne le plus :

Marius : « Il y a bien ce chef, continua le chimiste en surfant sur la Toile. Trois fois étoilé. C’est avant tout un manipulateur de la matière. Il l’observe, la triture, joue avec ses propriétés. Très doué. […] Le commandant se souvenait qu’ils avaient expliqué avoir été invités à dîner avec leurs amis japonais dans un prestigieux restaurant réputé pour sa cuisine moléculaire et futuriste. (…) Simmeo tenait enfin une piste excitante. » (154-155)

Alors, bien évidemment, on ne peut s’empêcher de sourire en voyant l’auteur dresser sans humilité son portrait :

« Eliott Principal était cultivé et charismatique. Adepte de la discipline et de la méditation, il affichait une allure de quinqua sportif et dynamique. Certaines zones d’ombre sur ses années de jeunesse persistaient – Internet avait ses limites – mais Simmeo avait découvert que l’homme, diplômé d’architecture, était en réalité âgé de près de soixante-dix ans. La cuisine était toute sa vie, pour elle il avait remisé sa formation initiale dans les assiettes. Passionné par le Japon (apparemment il y avait été formé dans les années 70 lors d’un stage d’architecture), généreux, il s’en inspirait. Cette Echoppe qui danse toute seule était l’aboutissement de sa carrière étoilée. Simmeo avait lu qu’en ouvrant ce lieu Eliott Principal continuait à susciter des émotions. Il fallait être initié et parrainé pour espérer goûter ses émotions gastronomiques. Le chef, mystérieux et insaisissable, ne cuisinait plus que sur réservation. Il consacrait le reste de son temps à la recherche et à la transmission. » (157)

Sûr de lui, enthousiaste, Thierry MARX l’écrivain de polar est empli d’une grande sérénité qu’il communique à son personnage et qui lui permet de conclure son histoire avec une liberté folle (et admirable).  No spoiler, lisez vous-mêmes !

L'amour du Japon dans le polar de Thierry MARX
Vue de Tokyo by night – Photo ©Danny15

Du coup, on pardonne au polar de Thierry MARX et Odile BOUHIER son titre à la San-Antonio et une certaine obsession pour le Commissaire Maigret, surtout que le chef nous offre en annexe sa recette de la « Blanquette de Veau à la manière de Thierry Marx » !

On lui pardonne aussi son art consommé du name-dropping de luxe : la traduction en japonais du polar de Thierry MARX ne devrait plus tarder… On lui souhaite bonne chance !

Aviez-vous entendu parler d’On ne meurt pas la bouche pleine, le premier polar de Thierry MARX et Odile BOUHIER ? L’avez-vous lu et apprécié ou êtes-vous, maintenant, curieux de le lire ? Partagez vos impressions en commentaire !

 

NOTES :

  1. Article : « Thierry MARX met l’humain au cœur de son travail » sur le site foodandsens.com (02/05/2018)
  2. « Portrait de chef cuisinier – Thierry Marx»  sur Terroirs de chefs.
  3. La cuisine moléculaire comme arme du crime dans le polar de Thierry MARX

 

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