[QDP2017] Le polar islandais raconté par 3 de ses auteurs…

QDP2017 : Table-ronde polar islandais

Retour sur le festival Quais du Polar, non pas 2018, mais 2017 auquel j’ai eu la chance de participer en tant que bénévole, et à ses nombreuses conférences et rencontres, dont celle-ci, consacrée au polar islandais.

Animée par Julie MALAURE, journaliste au Point, la table ronde « Islande, Terre de Polar » organisée le samedi 01/04/2017 à la Chapelle de la Trinité de Lyon réunissait Arnaldur INDRIDASON, Lilja SIGURDARDOTTIR et Ragnar JONNASSON. Ça causait de criminalité, corruption et sagas islandaises, de la base américaine de Keflavik et de « littérature de merde » (je cite !)… Et c’était passionnant !

Composé essentiellement des dialogues extraits de la conférence, cet article est, au mieux, une synthèse, au pire une transcription… Les amateurs de polars nordiques et en particulier de polar islandais s’y retrouveront sans doute !

Le polar islandais aujourd'hui : Arnaldur INDRIDASON, Lilja SIGURDARDOTTIR et Ragnar JONASSON
De g. à dr. : Ragnar JONASSON, Lilja SIGURDARDOTTIR et Arnaldur INDRIDASON – Photos ©Sigurj AGNAR / Bára KRISTINSDOTTIR / Olivier ROLLER.

Les origines du polar islandais

Avec un taux de criminalité quasi nul, une culture et un mode de vie très insulaires et un public au mieux de 300.000 personnes capables de lire et comprendre votre langue, comment l’Islande a-t-elle pu devenir la « fabrique à polars » qu’on connaît ?, interroge avec justesse Julie MALAURE.

Quand Ragnar JONASSON pointe avec humour l’influence désastreuse de son aîné Arnaldur INDRIDASON : « C’est sa faute ! », le chef de file du polar islandais souligne, quant à lui, l’influence des sagas islandaises du Moyen-Age, uniquement préoccupées de meurtres et des querelles de chefs de clan.

Ce genre d’écrit est motivé par les époques troublées, ajoute-t-il. Ainsi, on peut sans doute dater l’invention/la naissance du polar islandais des changements sociaux majeurs intervenus pendant la guerre froide avec l’invasion britannique du 10 mai 1940, puis la présence américaine sur le sol islandais à partir de 1951 – comme dans Le Lagon noir –  et enfin la crise financière  qui a secoué le pays en 2008.

Cela explique pourquoi Arnaldur INDRIDASON, par exemple, a choisi cette période pour ses romans :

« C’est une époque de changements phénoménaux en Islande. Avant la guerre, on était une île au milieu de l’Atlantique et personne ne s’intéressait à nous et tout à coup le 10/05/1940, l’Islande est envahie par une armée immense et les Islandais deviennent partie prenante dans le 2ème guerre mondiale. Elle a changé radicalement l’Islande. Cette époque n’a jamais été traitée dans la littérature. Les historiens islandais l’ont étudié, mais pas les romanciers ».

Les 3 auteurs de polar islandais évoquent ensuite leurs souvenirs de cette période :

Arnaldur :«  L’opinion que les Islandais avaient de la présence américaine en Islande était bipartite. L’un voulait sortir de l’OTAN, l’autre voulait prendre part à la défense de l’Europe. Ce débat a duré pendant toute la guerre froide et avait des conséquences dans toute la vie sociale, politique, culturelle… Les gens redoutaient surtout les influences culturelles et l’influence de la chaîne de télé américaine qui diffusait partout en Islande : on a découvert Elvis PRESLEY et au bout de quelques années, c’était devenu délétère, menaçait la culture islandaise. Des clôtures ont été élevées autour pour éviter que les soldats américains ne « s’exportent »… Quand le mur de Berlin est tombé, l’Islande n’a plus eu cette importance stratégique de la Guerre froide. Après toutes ces années, en 2006, l’armée américaine est partie sans même dire au revoir. Les Islandais étaient tout de même très contents ! »

Lilja : « Il y avait une marche annuelle contre ça : « Out of Nato ! » (Elle connaît toutes les chansons !) Ils avaient aussi une radio avec toutes les chansons pop et elle n’avait pas le droit de mettre cette chaîne !

Ragnar ne se souvient pas de cette tentation de la musique américaine. Pas de débat chez lui.

Avec Piégée, Lilja SIGURDARDOTTIR a choisi quant à elle de placer le polar islandais pendant la période post-krach économique :

« Pour tous les romanciers, les changements sociaux sont passionnants », explique-t-elle. « Le krach des banques islandaises et l’écroulement de l’économie apportent beaucoup d’idées pour le roman. L’impact a été terrible, il y avait beaucoup de colère et la manière de se comporter entre les gens a beaucoup changé. Les banquiers étaient des héros avant le krach, après ils se faisaient cracher dessus dans la rue ».

Les premiers polars de Ragnar JONASSONSnjór (Neige), Nátt (Nuit) et Mörk (Forêt) – sont plus ou moins contemporains. Une autre série se passe dans les années 90 et 80. Il préfère les 80, plus simple (par ex sans téléphone,,…)

 

Etre écrivain de polar en Islande, qu’est-ce que ça veut dire ?

Que représente le polar pour les Islandais, demande la journaliste ?

C’est d’abord un festival… Le festival polar islandais Iceland Noir a aujourd’hui 5 ans. Il est organisé tous les 2 ans au moment du « book flood » – période de la rentrée littéraire en Islande, juste avant Noël. Le prochain Iceland Noir aura lieu (du 17 au 19 novembre) 2018, ajoute Ragnar JONASSON qui est membre du comité d’organisation avec Lilja SIGURDARDOTTIR (entre autres). Mais rien à voir avec les foules de Quais du Polar !, ajoute cette dernière. « Il s’agit plutôt de rencontres amicales et les auteurs invités sont contents de venir visiter l’Islande. »

(A Arnaldur INDRIDASON) : « Chef de file du polar islandais, vous êtes devenu incontournable aussi en Islande ? Connu et reconnu partout ? »
Arnaldur : « Non pas du tout. Tout le monde est célèbre en Islande. A la télé, ce sont des copains qu’on voit. Ça n’a pas d’intérêt d’être connu en Islande, en fait ! Mais c’est très intéressant d’écrire des polars en Islande, parce que ça marche de mieux en mieux. Il n’y a pas si longtemps, c’était considéré comme de la littérature de merde. Il ya une vingtaine d’années… Il y a une évolution. Ça fait partie de nous réellement. L’avenir du polar islandais est forcément radieux. »

Arnaldur INDRIDASON n’a jamais imaginé écrire autre chose que du polar :

« C’est le genre de littérature qui me plaisait, en fait ! Je voulais écrire un livre que j’aurais envie de lire et je me moquais de l’opinion des gens… Ça a été difficile au début : ça n’a commencé à fonctionner qu’à partir du quatrième, donc il faut persévérer… »

Lillia SIGURDARDOTTIR a toujours aimé écrire des nouvelles et des pièces de théâtre. .C’est finalement un hasard si elle est venue au policier, motivée par la publicité d’un éditeur « à la recherche du nouveau Dan BROWN », explique-t-elle. Son premier polar islandais a été écrit en 8 mois, puis il y a eu le krach. Le bouquin a finalement pu être publié. Elle aime raconter des histoires et passionner les gens.

A l’origine de la vocation de Ragnar JONASSON comme écrivain de polar islandais, il y a sa passion pour Agatha Christie (qu’il commence à traduire en islandais à 17 ans). Inspiré par la Reine du Crime, son tout premier polar date de ses 12 ans et se passait à Londres, même s’il lui a fallu encore 20 ans avant de devenir une réalité. D’Agatha Christie, il a notamment repris l’idée de la petite ville (Siglufjördur dans la série Dark Iceland), de la petite communauté finalement assez typique de l’Islande. Nouvelles, poésie, l’auteur de 42 ans a toujours écrit et il est tout bonnement tombé amoureux de la fiction policière.

Arnaldur  INDRIDASON continue d’écrire pour les lecteurs de polar islandais :

« Des lecteurs exigeants, durs avec leurs auteurs, surtout quand ils sont eux-mêmes policiers ! », plaisante-t-il. « Ils veulent la crédibilité de l’histoire et le réalisme. SJÖWALL et WAHLÖÖ sont ceux qui m’ont influencé. Ils ont inventé ce concept du réalisme social et c’est ce que les Islandais veulent : que les romans témoignent de la réalité sociale qu’ils vivent ». 

La journaliste : Une littérature islandaise qui parle des Islandais, défend la culture islandaise, c’est ce qu’on lit dans vos livres, nous Français. Y a-t-il dans le polar islandais une volonté de défendre la culture islandaise ? :

Erlendur : « Quand j’écris, je ne pense pas énormément à ces questions d’identité en fait. Il me semble juste évident d’enraciner mon personnage d’Erlendur et de le rendre aussi islandais que possible. Le résultat c’est cet inspecteur solitaire, divorcé, qui pense au suicide au moins une fois par jour. Ce n’est pas le cas de l’Islandais moyen, j’espère ! Mais ça a sans doute contribué au succès de la série d’avoir un personnage aussi islandais, typé. L’Islande et ses caractères principaux (été court, hivers longs et froids) nous aident, nous romanciers. »

Lilja : « C’est important pour moi d’être islandaise, surtout que j’ai beaucoup bougé quand j’étais petite. J’avais toujours le mal du pays et je suis fière d’être islandaise. Seules 300 000 personnes sont capables de lire cette langue ! »

Ragnar : « On n’a pas d’architecture, mais notre héritage est dans les sagas et notre langue qui n’a pas bougé. Notre devoir est de tout faire pour que notre langue survive. Tout le monde en est conscient, je crois. »

La table-ronde sur le polar islandais se termine par une question dans le public : quels sont les polars étrangers qui ont du succès en Islande ? La réponse : Fred VARGAS, Pierre LEMAITRE et surtout les Anglo-Saxons qui écrivent sur l’Islande, comme Quentin BATES. Et enfin, les écrivains de polars scandinaves traduits en islandais.

Arnaldur INDRIDASON, Lillia SIGURDARDOTTIR, Ragnar JONASSON, les sagas des Islandais, Quentin BATES, notre « liste à lire » du polar islandais s’allonge encore !

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