Par action et par omission, de P.D. JAMES…

P.D. JAMES : Par Action et par Omission

L’auteure anglaise de polars P.D. JAMES est morte il y a presque 5 ans. Née en 1920, elle a fait plus que traverser le siècle, laissant derrière elle une vingtaine de polars écrits entre 1962 et 2011, dont 14 mettant en scène Adam Dalgliesh, le flic poète de Scotland Yard. Par action et par omission (titre original : Devices and Desires) est le 8ème de la série, sorti en 1989. Bourré de descriptions plus ou moins utiles et d’une écriture très (trop) minutieuse, le roman semble passer systématiquement à côté des enjeux du polar… En s’intéressant plus que nécessaire au moindre de ses personnages, P.D. JAMES chercherait-elle à nous induire en erreur ? Et qui est le tueur, si ce n’est le Siffleur, ce tueur en série sanguinaire qui écume le Norfolk

Intéressons-nous aux « devices », c’est-à-dire aux mécanismes utilisés par P.D. JAMES dans ce polar : ceux qui indisposent et ceux qui sauvent le livre…

 

Le polar à la manière de P.D. JAMES : pécher par excès de zèle ?

Bien que venu à Larksoken sur la côte du Norfolk pour des vacances loin du Yard dans le moulin hérité de sa tante, Adam Dalgliesh, nullement en charge de l’affaire, n’y sera pas tranquille un seul instant…

  • Comment refroidir le lecteur

Le livre 1 commence plutôt fort avec le meurtre en direct de la jeune Valérie Mitchell, 15 ans, quatrième victime du Siffleur, – un tueur en série à l’œuvre dans la région depuis 15 mois (83). C’est l’occasion de tout apprendre de son modus operandi. Malheureusement, le 2ème chapitre préfère s’intéresser aux préparatifs de départ en vacances du Commandant Dalgliesh (mais pourquoi ?!!!) et aux relations qu’il entretient avec l’éditeur de ses recueils de poésie. Un flic-poète, vraiment ?

C’est ce qui s’appelle « refroidir » le lecteur…

Deuxième chance avec le livre 2 qui commence, de même, avec ce qui sera le cinquième et dernier crime du serial killer (95), puisqu’on apprend bientôt… que le tueur a préféré en finir en se suicidant (199) ! Le troisième meurtre du livre, celui de la directrice de la centrale nucléaire de Larksoken Hilary Robarts, découvert par Dalgliesh lui-même, ne peut donc lui être attribué…

Quel auteur de polar aujourd’hui abandonnerait un personnage de tueur en série au tiers du livre pour changer de direction et s’intéresser à un autre meurtre isolé ? En 1989, avec Par Action et par Omission, P.D. JAMES le fait ! Exit le SK. Bonjour les suspects multiples et la non moins longue liste des mobiles que chacun pourrait avoir eu de tuer la victime.

  • Le goût de la description

Sous prétexte de découvrir son nouvel environnement, P.D. JAMES nous abreuve de descriptions de paysages, de portraits et nous fait pénétrer dans l’intimité de tous ses personnages. Plus d’une quinzaine tout de même, dont le plus grand nombre fait partie des suspects.

Sympa et intéressant, quand on est dans la tête de l’inspecteur principal Rickards, en proie aux doutes sur son couple, ses relations avec sa belle-mère (342-347) ou avec Dalgliesh (349-352), en plein cœur de l’enquête. Un peu moins lorsqu’il s’agit de participer à la réunion hebdomadaire des cadres de la centrale nuclaire (61-64) ou de subir les conversations mondaines d’un dîner quand elles n’ont aucun lien avec l’intrigue ! (98-100)

  • Minuté et justifié !

Divisé en 6 livres couvrant 1, 2, 4 ou 5 jours sur la période d’1 mois qu’aura nécessité l’enquête, Par Action et par Omission date le moindre mouvement à la minute près dès les premières pages. A vos carnets de notes pour récolter les précieux indices semés partout par l’auteure et tenter de découvrir  avant sa résolution le (ou les) coupable(s) de ce whodunit implacable !

Rien n’est gratuit avec P.D. JAMES. Le moindre dialogue sert à véhiculer des informations et chaque événement ou rebondissement est dûment préparé en amont, de la livraison d’épreuves à corriger confiée à Dalgliesh par son éditeur (26) au robinet qui fuit (53).

En bref, selon qu’on supporte plus ou moins bien les descriptions, jugées à tort innocentes et entièrement gratuites, on jugera que P.D. JAMES excelle à introduire de manière naturelle les multiples personnages, indices et thèmes de son roman policier ou au contraire que le procédé est tout-à-fait artificiel, voire lourdingue.

  • Trop de thèmes

Parlons des grands thèmes évoqués dans Par Action et par Omission : ils sont nombreux. La science contre l’instinct du policier (83), les secrets de famille qui lie un frère et une sœur (119-122), l’envie d’enfant (175-177), les dangers du nucléaire (en particulier 252), le suicide (375-376), le glissement facile de l’idéalisme au terrorisme (426) que P.D. JAMES assimile  à un « désir de mort » (458-459), et aussi la notion de justice :

« Meg, elles sont mortes. Mortes. L’injustice est un mot et elles sont passées au-delà du pouvoir des mots. Ils n’existent plus. Et la vie est injuste. » (484)

et celle de vérité, étonnamment floues chez l’auteure britannique :

« Très satisfaisant pour la vanité humaine de découvrir la vérité, demandez à Adam Dalgliesh. » (491)

A vouloir suspecter tout le monde et invoquer tous les mobiles, il me semble qu’on n’en installe aucun… L’enquête de police se conclut d’ailleurs dans un flou relatif par une absence de conclusion  (505) et la crainte, exprimée notamment par Adam Dalgliesh, que l’histoire retienne le mauvais coupable…

  • Fausses pistes

Il faut dire que P.D. JAMES fait tout pour cultiver les fausses pistes. A commencer par celle du Siffleur, abandonnée au tiers du livre, celle des baskets de marque du suicidé (340), de l’éraflure sur le bateau de Lessingham (367), de l’histoire d’amour improbable entre Amy et Caroline (417, 438) ou celle, totalement ridicule, d’une opération terroriste liée à la centrale nucléaire (421) que son surnom d’ « opération Pipeau » rend encore moins crédible… (420)

  • L’obsession du happy end :

Décrédibilisante aussi, l’obssession du happy end manifestée par P.D. JAMES. Énervante autant qu’inutile, la vie étant ce qu’elle est !… Cela commence avec Rickards, qui récupère sa femme sur le point d’accoucher et renvoie sa belle-mère dans ses buts (437-438), juste avant l’avalanche de bons sentiments de l’Epilogue (503-504).

Evidemment, la traduction pour le moins datée n’arrange rien. « Salmigondis » (53), « patache » (74), « ahan » (170), « pulvérulent » (188), « eustache » (210), « barbelure » (266), « chemineau » (pas cheminot, hein ?) (380) ou « toton » (comprendre : toupie) (472) séduiront sans doute les amateurs de mots rares. Gardez le dico à portée de main !

Exemple-type du whodunnit britannique, Par Action et par Omission de P.D. JAMES s’adresse au lecteur qui prétend jouer les détectives. De la même manière que je n’apprécie pas particulièrement qu’un auteur me « balade » en proposant plus de pistes que nécessaire, de même je n’ai pas besoin qu’il m’explique avec tous les détails le pourquoi et le comment… Les scènes d’explications comme le très long chapitre 52 (472-494) et les laborieuses et artificielles préparations de l’auteure sont juste maladroites, pénibles et superflues…

Trop de descriptions, de suspects, de mobiles et de justifications pour faire de son intrigue policière un objet parfait, P.D. JAMES pèche par excès de zèle, à mon avis.

 

Les points positifs de Par Action et par Omission

 

Mais ne soyons pas trop durs avec P.D. JAMES, cette autre « reine du crime », anoblie par la Reine en 1990 : elle a au moins un personnage épatant (et ce n’est pas Adam Dalgliesh !), son intrigue tient debout et le suspense dure jusqu’à la fin…

  • Miles Lessingham, un personnage épatant :

Je n’ai souri en lisant Par Action et par Omission de P.D.JAMES qu’à partir de la page 265 (sur 508) quand Miles Lessingham, chef des opérations à la centrale nucléaire, met fin à son interrogatoire par un cinglant :

« Et maintenant si vous n’avez plus de questions à me poser, j’ai une centrale atomique à faire marcher. »  (265)

Homo malheureux et solitaire, Miles Lessingham est l’incarnation du flegme britannique par excellence. Il aime jouer la provoc’ et se montre arrogant, en privé (106) comme vis-à-vis des autorités (365-368, 371, 373) :

Rickards et Oliphant « n’avaient pas plus de cinq minutes de retard, aussi furent-ils particulièrement vexés de trouver porte close en arrivant à la petite maison de bois et de brique sur la route côtière, à quelque quinze cents mètres au nord du village. Un mot au crayon était punaisé sur la porte d’entrée.
« Si vous voulez me voir, essayez le Heron, amarré au quai de Blakeney. Et ça concerne aussi la police. » 365
(!!!!)

Un bonheur !

C’est lui qui trouve le corps de la 5ème victime du Siffleur (104) – d’où son interrogatoire -, lui aussi qui au cours du dîner chez Alice et Alex Mair, révèle aux 6 autres personnages présents les habitudes du tueur, copiées lors du meurtre de Hilary Robarts (106-109). Fatal error !

  • Psychologie des personnages

Curieusement, bien que décrit comme « un des premiers détectives de la Met, le chouchou du préfet de police » (317), ce n’est pas Dalgliesh qui ressort dans ce livre aux personnages tous soigneusement fouillés.

Après Miles Lessingham, la bonne surprise vient de Jonathan Reeves, pâle amant de la belle Caroline Amphlett, qui se rebelle et se met à enquêter de son côté.

Dans Par Action et par Omission, chaque personnage a des infos uniques à délivrer qui contribuent à la résolution de l’enquête. Chaque personnage a une vie secrète (Theresa qui communique avec sa mère décédée dans les ruines de l’abbaye (171), Amy qui couche avec Alex Mair (145, 427), Caroline Amphlett qui est une activiste anti-nucléaire infiltrée, etc.) et, un peu comme dans Agatha CHRISTIE, ils ont tous plus ou moins une raison d’avoir tué Hilary Robarts… A quoi ça tient, la culpabilité ?

Sans aucun doute féministe, P.D. JAMES  campe des personnages féminins qui s’assument (Alice Mair, Hilary Robarts, Meg Dennison,  Amy Camm, Caroline Amphlett) et n’ont peur de rien. Même les victimes du Siffleur se montrent intrépides. Elles manquent de chance, c’est tout.

  • P.D. JAMES, reine de l’intrigue policière

Agaçante par sa manière peu discrète d’amener les choses et de verrouiller l’intrigue, il faut reconnaître à P.D. JAMES un vrai talent pour le polar : toute l’enquête de Par Action et par Omission tient à une simple empreinte de pied dans le sable (481) et six chapitres avant la fin, le tueur court toujours ! (461)

Entièrement axée autour de la mort du Serial Killer (ceux qui savaient et ceux qui ne savaient pas) (328, 332) et du dîner chez les Mair (pour le modus operandi) (106-109), l’intrigue résulte de multiples coïncidences, – ce que P.D. JAMES appelle les « curieux itinéraires » de la vie (427). Les histoires personnelles se bousculent, s’intersectent, se percutent. Le crime chez P.D. JAMES « cet instant dans le temps » et « ce lieu dans l’espace » (427) – est toujours le résultat d’interférences humaines complexes et immaîtrisables. Ainsi l’enquête de Jonathan Reeves à Londres et les rituels secrets de la petite Theresa font penser à Caroline qu’elle est démasquée (423)

Pour une fois, ce n’est pas le flic – qu’il s’appelle Dalgliesh ou Rickards – qui progresse seul dans la recherche de la vérité et la détient toute entière, chaque personnage contribuant à l’établissement de celle-ci qui reste la propriété ultime du lecteur. C’est un des points forts du roman qui le rend très original.

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Après la lecture de ce premier polar, du moins, je ne risque plus d’être comme l’un des suspects de Jessica Fletcher, auteur d’un alibi qui prend l’eau parce qu’il croit que P.D. JAMES est un homme !

De P.D. JAMES, j’ai aussi lu, en anglais, An Unsuitable Job for a Woman (en français, La Proie pour l’Ombre), écrit par l’auteur quelques 17 ans plus tôt. Plus d’action, mais toujours un goût très fort pour les descriptions et les rebondissements invraisemblables, ce premier roman de la série Cordelia Gray est pire ! On l’imagine bien adapté en téléfilm, du (bas) niveau de ceux inspirés de Mary HIGGINS CLARK.

Quel polar de P. D. JAMES me conseillez-vous ? Vous l’avez compris, je suis loin d’être emballée…

 

Par Action et par Omission de P.D. JAMES participe au Challenge British MysteriesCet article participe au Challenge British Mysteries chez Lou.

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