Polar roumain : Qui veut la peau d’Andreï Mladin ? de George ARION…

Polar roumain de George ARION : Qui veut la Peau d'Andreï Mladin ?

Pour la saison France-Roumanie 2019, que diriez-vous de découvrir une véritable curiosité : un polar roumain en français ? Paru en 1983, Qui veut la Peau d’Andreï Mladin ?Atac în bibliotecă  en V.O. – vaut vraiment le détour.

En premier lieu, c’est le premier roman policier publié par George ARION. L’un des 3 aussi à avoir été traduits sur les 16 polars qu’il a produits. Enfin, il a été écrit pendant la période CEAUŞESCU. Autant de raisons de s’y intéresser, d’autant que critique sociale et politique, autodérision et ironie féroce y font bon ménage…

Traduit seulement en 2015 avec une préface de Claude MESPLEDE, ce rare polar roumain est donc presque une nouveauté pour nous… Une nouveauté vieille de 36 ans !

Qui veut la Peau d’Andreï Mladin ?, premier polar roumain moderne

Doté d’une sévère gueule de bois, « Andreï Mladin, journaliste roumain en vie » (16), ainsi qu’il aime lui-même se présenter (!), se réveille dans sa bibliothèque à côté d’un cadavre ! Celui-ci s’obstinant à rester mort et en place (15), même après plusieurs heures de récupération, Mladin opte pour une réaction mesurée, consistant à 1/ cacher le cadavre 2/ faire sa propre enquête, plutôt que se dénoncer à la police.

« Non seulement je devrais renoncer à mon travail, mais on m’enverrait à coup sûr dans une coopérative pour participer à la lutte nationale contre les doryphores et autres fléaux agricoles de notre chère patrie », explique-t-il, lucide. (16)

Les ennuis ne font que commencer, puisque suite à la parution de son entretien avec la violoniste-star Mihaela Comnoiu, dont il n’a pu éviter de tomber amoureux (les Roumains sont aussi des latin lovers !), il est inondé de lettres anonymes (33), voit son pare-brise explosé 4 fois (33), manque se faire écraser (34) et se fait tabasser par 3 armoires à glace (35).

Quand même le cadavre s’y met et réapparait au milieu de son salon au moment où il s’y attend le moins (70-71), Mladin conclut à une machination :

« Mais qui peut me détester au point de tuer un homme et de tout faire pour que ce cadavre soit trouvé chez moi ? », se demande-t-il. (71)

Plein d’action et d’humour, ce polar roumain est, pour l’intrigue, évidemment très inspiré d’Agatha Christie et notamment du roman [Spoiler : Le Crime de l’Orient-Express] (199-200). Son titre original fait évidemment penser au Cadavre dans la Bibliothèque de la série des Miss Marple et son dénouement emprunte en tous points aux confrontations finales adorées par Poirot.

Pour autant, le suspense est maintenu jusqu’au bout, même si S.S. VAN DINE (Voir : Note 1) vous dirait qu’il n’est pas tout à fait fair play de passer 200 pages à vous parler de tout autre que du vrai coupable pour le sortir de son chapeau au dernier moment, devant l’assemblée médusée !

L’important dans ce polar roumain est évidemment ailleurs :

  • Dans l’écriture, tout d’abord :

Légère et punchy, rythmée par les « Fin de citation. » exigés par le Conducător (Note 2), même s’il ne s’agit pour Mladin que de citer son grand-père (Voir Note 3, en fin de page) :  

« J’entends une voix me dire dans mon subconscient : « Tu ferais mieux de détester le vin ! » Fin de citation. Vous l’aurez deviné : c’était la voix de mon grand-père. Mais je ne pense pas qu’il parlait sérieusement. » (120),

la langue de ce polar roumain est souvent fleurie, évoquant parfois San-Antonio (97). Le héros de George ARION met toujours la bonne distance dans son récit :

« Je suis sûr que les récits d’amoureux transis se promenant dans un  parc main dans la main, vous font bâiller d’ennui autant que moi. Je vous épargnerai donc les détails lacrymogènes de mon idylle avec Mihaela. » (28)

  • Dans la rupture avec le polar roumain propagandiste que marque le livre de George ARION (Voir Note 3).

En choisissant le genre alors très mineur du polar (comique, qui plus est !), en faisant passer la machination contre Mladin pour la vengeance d’un jaloux – après tout, il ne s’agissait selon son indic que de « chahuter un type qui courait après une nénette » (132) ! – et en offrant le rôle décisif à… son chat (204), George ARION réussit le tour de force de passer la censure du régime et d’offrir à ses contemporains un polar roumain gentiment subversif dans une époque qui ne les tolère pas.

  • Dans le personnage d’Andreï Mladin

Séducteur tout sauf modeste (21), bon journaliste (25) avec un petit cœur tout mou (27) et une impressionnante résistance au ridicule (38) et aux coups, le personnage d’Andreï Mladin a séduit son public et, devant le succès, devient un personnage récurrent des polars de George ARION. Jovial et optimiste jusqu’au bout, il nous offre un dernier chapitre d’une réussite absolue, quand descendant de Sinaia au volant d’une voiture sans freins, il cite encore son grand-père

« à propos d’un homme qui se serait jeté du centième étage et qui, à chaque fois qu’il passait à hauteur d’un nouveau palier, répétait : jusqu’ici, tout va bien ! Fin de citation. » (215)

On l’aime !

  • Dans la dimension sociale et politique de l’histoire

L’histoire racontée dans ce polar roumain d’un journaliste qui ose aimer plus haut que lui a évidemment une dimension sociale et politique importante. En tombant amoureux de Mihaela Comnoiu, « une violoniste au talent reconnu dans le monde entier » (23), Andreï Mladin bouleverse et menace l’ordre social, la nomenklatura et ses privilèges. La description qu’il fait de la demeure familiale au hall immense, « à peu près équivalent à la superficie de mon appartement », à la moquette épaisse et au jardin si vaste qu’il permettrait « le passage d’un char d’assaut » (23) ne laisse aucun doute sur le sujet. Si la jeune femme s’amuse du journaliste en enfant gâtée ignorante des réalités de son pays, c’est pour sa mère une question de « race » (210) :

« Il est impossible à un vagabond de prendre la place d’un roi », invective-t-elle. « Tu auras beau porter les vêtements les plus élégants, fréquenter les salons les plus distingués, tu resteras un insecte, incapable de grandeur, et tu n’habiteras jamais qu’une grotte sordide. » (210)

Dans ces conditions, il n’est pas bien difficile pour le lecteur de choisir son camp… Lors de la confrontation finale dans la maison de vacances des Comnoiu à Sinaïa, le journaliste bénéficiera des coups d’œil complices du cuisinier pour l’encourager (201).

 

Autodérision, humour : les conditions de la résilience

Le polar roumain Qui veut la Peau d’Andreï Mladin ? est surtout une introduction à l’humour roumain, condition de la résilience sous la dictature de CEAUSESCU… Au fil des pages, l’air de rien, George ARION nous livre de nombreux « insights » et descriptions de la vie quotidienne en Roumanie sous la dictature de CEAUŞESCU….

Dès les premières pages de ce polar roumain, on sent le poids du regard des voisins d’immeuble (17-18) ou de la concierge « prête à témoigner » contre le locataire qu’elle juge indélicat (56) :

« C’est tellement bon de ne pas être seul au monde ! », ironise le journaliste. (128)

Le téléphone – peut-être sur écoute –ne sert qu’à se donner rendez-vous en face à face (110). Même les « avenirs radieux de la nation » que sont les écoliers pour la propagande communiste (82) se révèlent de précieux indics dans cette ville où tout le monde s’observe et se surveille jour et nuit.

Le plus curieux dans ce polar roumain est sans aucun doute les personnages de flics, très à contre-courant de ce que l’on attend. Dans ce polar roumain, c’est le journaliste qui mène l’enquête, tandis que gentil-flic et méchant-flic jouent leur numéro burlesque – George ARION cite même Columbo ! (107) -, pour se révéler finalement ange-gardien d’Andreï Mladin pour l’un, fervent admirateur de sa plume et de ses articles pour l’autre (212). A chaque fois, cependant, on passe près de la catastrophe et on craint pour le héros, comme lors de l’interrogatoire collectif organisé au commissariat à la moitié du livre (104-108).

Parano justifiée, victimisation du héros (Mladin est celui sur qui on tape, tape, tape de tous côtés comme à une séance de Guignol dans ce polar roumain), autodérision, il faut de l’humour pour supporter le spectacle de la vie quotidienne en Roumanie (109), « l’ersatz d’orangeade chaud et jaunâtre » qu’on vous sert dans les cafés et qui donne des crampes à l’estomac (62-63) et l’ordinaire des pays frères proposé dans les magasins d’Etat :

« En route vers mon appartement, je prends mon courage à deux mains et entre dans un magasin pour y faire quelques courses : une boîte de haricots chinois, un pot de poivrons bulgares, une boîte de sardines soviétiques et une bouteille de vin albanais. » (64)

On est bien dans la Roumanie de Ceauşescu !

Face à la situation, il reste la débrouillardise :

«  Si vous me donnez un kilo de sucre, je pourrai vous ramener de la confiture de framboises. » (113)

Et bien sûr, l’humour :

« En attendant mieux, alterner les douches froides et les douches chaudes suffira à me calmer. Il parait que ce traitement donne d’excellents résultats. Je me demande juste comment faire pour l’eau chaude. C’est une denrée rare dans mon quartier. Je pourrais toujours alterner les douches froides avec les douches encore plus froides. Après tout, ça ne mange pas de pain ! » (121)

A peine édulcorée (la censure ?), la blague roumaine que tout le monde s’échangeait à l’époque reprend du service :

« Que le dernier ((qui quitte le pays)) n’oublie pas d’éteindre la lumière ! Enfin, si on en a encore à ce moment-là. Fin de citation. » (180)

A quand un nouveau polar roumain de George ARION traduit en français ?

Lisez vite l’excellent polar roumain « Qui veut la Peau d’Andreï Mladin ? George ARION fait partie des auteurs invités à Quais du Polar 2019 !

NOTES :

(1)  George ARION contrevient ici notamment à la règle N°10 énoncée par S.S. VAN DINE dans ses Vingt règles pour l’écriture de romans policiers, publiées en 1928 dans The American Magazine.
(2)  Le « Conducător » est l’un des titres choisi pour lui-même par Nicolae CEAUŞESCU pour contribuer au culte de sa personnalité, au même titre que « génie des Carpates » et « Danube de la pensée »…
(3)  Lire à ce sujet l’interview de George ARION par Richard CONTIN sur le blog du Concierge masqué le 19/02/2015.

Un polar roumain pour célébrer la Saison France-Roumanie 2019

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